De 2002 à 2007, le cardinal Carlo Maria Martini vécut principalement à Jérusalem, où il avait repris ses études bibliques. Ce furent aussi des années de prière intense pour la paix dans la période la plus dure de la seconde Intifada. Un passage de l'un de ses écrits de 2003 est toujours d'actualité !
« Il est certain que la haine qui s'est accumulée est grande et pèse sur les cœurs : il y a des personnes et des groupes qui s'en nourrissent comme d'un poison qui, tout en maintenant la vie, tue. Pour vaincre l'idole de la haine et de la violence, il est très important d'apprendre à regarder la douleur de l'autre. La mémoire de la souffrance accumulée pendant tant d'années nourrit la haine lorsqu'elle n'est qu'une mémoire de soi, lorsqu'elle se réfère exclusivement à soi, à son propre groupe, à sa propre juste cause. Si chaque peuple ne regarde que sa propre douleur, alors la raison du ressentiment, des représailles, de la vengeance l'emportera toujours. Mais si la mémoire de la douleur est aussi une mémoire de la souffrance de l'autre, de l'étranger et même de l'ennemi, alors elle peut être le début d'un processus de compréhension. Donner voix à la douleur des autres est une condition préalable à toute politique de paix future ».
Grâce à l'Oscar Théâtre (de Giacomo Poretti, Luca Doninelli et Gabriele Allevi), ont récemment résonné les mots d'Eschyle dans Les Perses, portés à la scène par Silvio Castiglioni. Il s'agit de la plus ancienne tragédie qui nous soit parvenue (472 av. J.-C.). L'homme, qui a assisté de ses propres yeux à l'atroce défaite de l'armée de Xerxès à la bataille de Salamine, en raconte l'horreur.
Ce qui ne cesse d'étonner, c'est qu'Eschyle raconte la victoire de son peuple, les Grecs, à travers les yeux des Perses, à travers le récit de leur douleur. À travers les yeux de l'autre. Eschyle donne la parole à la douleur des autres, comme un avertissement aux Athéniens et à nous-mêmes, montrant ainsi le chemin d'une paix possible. Comme si le poète ne voulait pas se plier à l'idée de faire de son texte un manifeste de la grandeur d'Athènes. Comme si, en choisissant de nous raconter la douleur d'un peuple du point de vue du vaincu, il voulait nous suggérer l'idée que l'autre, l'ennemi, doit être protégé de la tentation de le moquer, de l'humilier, de le déshumaniser. Des siècles et des coutumes peuvent nous séparer de la culture grecque. Mais la mise en scène d’Eschyle est un exercice d'humanité que nous devons faire nôtre, comme l'a rappelé Carlo Maria Martini : faire entendre la douleur de l'autre est un préalable à toute politique de paix future.
Vivian Silver (photo), pacifiste de 74 ans, était la fondatrice de Women wage peace, l'un des plus grands mouvements pacifistes israéliens, créé en 2014. Elle a été tuée par les miliciens du Hamas lors d'un raid sur sa maison du kibboutz Be'eri, où elle résidait depuis 1990, seize ans après avoir déménagé du Canada. « Ils nous ont fait croire que seule la guerre apporterait la paix. Mais c'est le contraire qui s'est produit. Pourquoi devrions-nous continuer ainsi ? », répétait-elle.
« Gaza n'était pas une idée ou une valeur abstraite. Cela faisait partie de sa vie », ont déploré ses amis le jour où sa dépouille a été identifiée par des tests ADN, parmi les derniers à l’être. Son fils, Yonatan Zeigen, dans une interview au quotidien Avvenire, a sévèrement critiqué l'offensive sur Gaza : « Un avenir meilleur ne sortira pas de cette guerre, ni pour la bande de Gaza, ni pour Israël. Au contraire. Lorsqu'il explose, un conflit détruit tout, c'est pourquoi il faut le prévenir et non l'exacerber. D'ailleurs, pourquoi bombarder la bande de Gaza ? L'idée du Hamas et les causes qui la sous-tendent ne peuvent être vaincues par des moyens militaires. Nous sommes lâchement attaqués et nous attaquons lâchement ».
« Ce que je vois me fait terriblement peur », déclare de sa part Sari Nusseibeh, un intellectuel palestinien, dans une interview au Corriere della sera. « Je suis inquiet dans l'immédiat et aussi pour l'avenir. Je ne peux qu'espérer que nous reviendrons à une pensée rationnelle. Car je n'exclus pas du tout une guerre généralisée au Moyen-Orient. Les deux radicalismes se nourrissent l'un l'autre. En Israël, les colons et la droite religieuse prêchent la nécessité de chasser les Palestiniens, ce qui est aussi pour eux la réalisation d'un plan divin. Le Hamas fait de même au nom de l'islam, et les massacres déchirants perpétrés à Gaza ne font que raviver cette idée ».
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