En Afrique, feu Mobutu Sese Seko, président de l'ancien Zaïre (aujourd'hui RD-Congo), a souvent été décrit comme l'un des « dirigeants les plus corrompus au monde ». Lorsqu'on lui a demandé lors d'une conférence de presse s'il était le deuxième dirigeant politique le plus riche du monde, Mobutu, apparemment indigné, a répondu : « C'est un mensonge ! C'est un mensonge ! », avant d'ajouter d’un ton sérieux : « Je ne suis que le quatrième plus riche ! ».
Dans un rapport d'octobre 1991, The Washington Post citait Mobutu comme ayant créé l'un des principes de base de la bonnecorruption : « Si vous voulez voler, faites-le lentement, intelligemment, d'une manière agréable. Tu ne seras pris que si tu voles tellement que tu deviens riche du jour au lendemain ».
Un ancien secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, originaire du Ghana et toujours « de franc parler », déclarait un jour que « certains dirigeants africains continuent de dissimuler des milliards de dollars de fonds publics, alors même que les routes s'effondrent, que les systèmes de santé sont défaillants, que les écoliers n'ont ni livres, ni pupitres, ni enseignants et que les téléphones ne fonctionnent pas ».
L'Assemblée générale (AG) de l’ONU a tenu sa 1èresession spéciale contre la corruption du 2 au 4 juin 2021 et a réuni 120 intervenants, dont plusieurs ministres des affaires étrangères, trois vice-premiers ministres et 10 chefs d'État et de gouvernement, dont beaucoup se sont adressés à l'ONU par messages vidéo, son siège étant fermé en raison de la pandémie du Covid. L'une des questions posées lors de la conférence de presse quotidienne était subtile mais pertinente.Qu'est-ce que le président de l'AG, VolkanBozkir, espérait obtenir alors que « tant de chefs d'État qui avaient parlé sont corrompus ? » Son porte-parole, BrendenVarma, a déclaré aux journalistes que l'objectif du président avait toujours été de créer un forum où les États membres pourraient se réunir « pour discuter des questions importantes pour le monde et partager des idées, des meilleures pratiques et les leçons apprises ».
M. Bozkir a déclaré aux délégués que la corruption corrode la confiance du public, affaiblit l'État de droit, sème les conflits, déstabilise les efforts de consolidation de la paix, porte atteinte aux droits de l'homme, entrave les progrès en matière d'égalité des sexes et freine les efforts visant à atteindre les objectifs de l'Agenda 2030 pour le Développement Durable. « Elle frappe aussi plus durement les pauvres, les marginalisés et les plus vulnérables », a-t-il ajouté.
Le résultat de la session spéciale se retrouve dans le texte d'une déclaration politique orientée vers l'action, adoptée par consensus. Mais l'histoire a montré que la lutte contre la corruption est une longue bataille perdue d'avance, sans fin en vue.
En juillet 2019, Transparency International a dressé une liste des 25 « plus grands scandales de corruption qui ont secoué le monde etinspiré une large condamnation publique, renversé des gouvernements et envoyé des personnes en prison », rapportant ceux de l'Azerbaïdjan, du Pérou, du Nigeria et de la Guinée équatoriale.
Ces scandales ont impliqué « des politiciens de tous les partis politiques et les plus hauts niveaux du gouvernement, des montants stupéfiants et un blanchiment d'argent aux proportions épiques », a noté Transparency International.
L'ampleur de la corruption, tant dans les pays en développement que dans les pays industrialisés, est telle, en particulier chez les hommes politiques et les chefs de gouvernement, qu'un cynique pourrait avoir raison de dire « s'il n'y avait pas de corruption, il n'y aurait plus de politiciens ».
Dans le monde industrialisé, la corruption est appelée par euphémisme « lobbying », principalement dans le cadre de marchés de plusieurs milliards de dollars, portant essentiellement sur des avions commerciaux et des systèmes d'armement.
Selon un rapport publié, les dirigeants les plus corrompus du monde sont les suivants : Sani Abacha (Nigeria) ; Mobutu Sese Seko (Ex-Zaïre) ; Ferdinand Marcos (Philippines) et Suharto (Indonésie).
Lors d'un débat télévisé sur l'élection du maire de New York au début du mois de juin dernier, un candidat a publiquement rappelé à l'un de ses rivaux les multiples accusations de corruption auxquelles il avait autrefois été confronté. « Nous savons tous que vous avez fait l'objet d'une série d'enquêtes pour corruption partout où vous êtes allé. Est-ce vraiment ce que nous voulons du prochain maire ? »,a-t-il demandé.
Mandeep S. Tiwana, directeur de programmes de CIVICUS, l'alliance mondiale de la société civile, a déclaré qu'il est important que l'Assemblée Générale de l’ONU ait organisé une session sur la lutte contre la corruption car il s'agit d'un fléau majeur dans nos sociétés et d'un moteur d'inégalité. Toutefois, tout débat significatif sur la corruption serait incomplet sans s’interroger sérieusement sur l’actuel engouement pour les politiques axées sur le marché qui créent, elles, des possibilités de corruption à grande échelle en permettant le détournement de ressources publiques vers des entreprises privées, a-t-il fait valoir. Dans le cadre du discours dominant sur le marché, a-t-il noté, les États sont encouragés à se retirer des services publics et à céder l'espace à des entités privées à but lucratif : « Une grande partie de la corruption émane de ces appels d'offres gouvernementaux inappropriés aux élites politiques copines et des soi-disant aides de certaines entreprises par le biais d'accords secrets sur des allégements fiscaux et des concessions privilégiées à certaines entreprises politiquement proches ».
« Les flux financiers illicites et le blanchissement d'argent font partie de la confusion des responsabilités et doivent être abordés en mettant l'accent sur la transparence et la responsabilité, qui doivent être contrôlées par des sociétés civiles dynamiques et les médias faisant office de chiens de garde », a déclaré M. Tiwana.
S'adressant aux délégués lors de la session spéciale, l'ambassadeur Munir Akram du Pakistan et président en exercice du Conseil Economique et Social des Nations unies (ECOSOC), a déclaré que la corruption, qui entraîne des sorties massives de fonds illicites, est l'une des principales raisons des mauvaises performances économiques des pays en développement et des inégalités croissantes dans le monde.
La corruption étouffe les opportunités pour les pauvres, tout en les condamnant à une vie de misère et d'inégalité. Il a ajouté que, selon les estimations, la corruption fait perdre chaque année 2600 milliards de dollars, soit l'équivalent de 5 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. Les pays en développement perdent 1 260 milliards de dollars, soit neuf fois l'aide publique au développement (APD) qu’ils reçoivent.
L'ambassadrice américaine Linda Thomas-Greenfield a assuré aux délégués que l'administration du président Joe Biden s'était engagée à lutter contre la corruption. Et cela commence par le développement des outils, des obligations et des engagements existants dans l'administration nord-américaine en matière de lutte contre la corruption, y compris les mesures visant à appliquer vigoureusement la Loi sur les Pratiques de Corruption à l'Étranger, qui veut protéger l’environnement commercial du monde entier en interdisant aux nord-américains de corrompre les fonctionnaires étrangers. Il s'agit également de renforcer le programme du ministère nord-américain de la justice de Recouvrement des Avoirs des Kleptocrates.
Rien que depuis 2019, les efforts de recouvrement d'actifs nord-américains ont permis de transférer plus de 1,5 milliard de dollars à des pays touchés par la corruption, a-t-il ajouté.
M. Tiwana de CIVICUS a souligné qu'un débat sur la corruption devrait logiquement se concentrer sur la création d'environnements favorables aux organisations de la société civile et aux entités médiatiques indépendantes qui mettent en lumière les pratiques de corruption et la connivence entre les élites politiques et économiques. « Notre étude CIVICUS montre que 87 % de la population mondiale vit dans des pays où les libertés civiques d'association, de réunion pacifique et d'expression sont fortement restreintes ».
Les militants de la société civile et les journalistes sont attaqués à une échelle colossale dans le monde entier. « Si les gouvernements du Nord et du Sud veulent vraiment lutter contre la corruption, ils doivent prendre des mesures pour supprimer les restrictions de l'espace civique et mettre fin à la persécution des militants et des journalistes », a-t-il déclaré.
Dans une déclaration commune, les ministres du Groupe des Sept (G7, Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Royaume-Uni, États-Unis et Haut représentant de l'Union européenne) ont déclaré qu'ils reconnaissaient que la corruption était un défi mondial urgent.
La Convention de l’ONU contre la corruption, adoptée en 2003, note que la corruption menace la stabilité et la sécurité des sociétés, sape les institutions et les valeurs de la démocratie, les valeurs éthiques et la justice, et met en péril le développement durable et l'État de droit. La corruption constitue une menace sérieuse pour les individus et les sociétés et permet souvent d'autres formes de criminalité, notamment la criminalité organisée et la criminalité économique, y compris le blanchissement d'argent. Ces menaces ont été intensifiées par la covid-19.
« Alors que le monde est en encore en train de se redresser, il est essentiel que nous ne laissions pas la corruption menacer nos efforts pour mieux reconstruire et relever les défis mondiaux, en particulier la réalisation des Objectifs de Développement Durable 2030 », affirme la déclaration ministérielle. « Nous attendons avec impatience la réunion ministérielle du G7 en septembre de cette année 2021, où nos efforts conjoints pour lutter contre la corruption seront discutés ».
Parallèlement, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a salué la création du Réseau opérationnel mondial de lutte contre la corruption, connu sous le nom de Réseau GlobE, comme un pas dans la bonne direction. Le réseau permettra aux autorités chargées de l'application de la loi de guider les processus juridiques par le biais d'une coopération informelle au-delà des frontières, ce qui contribuera à instaurer la confiance et à traduire en justice les personnes coupables de corruption.
Voir ¿Libra la ONU una batalla perdida contra los líderes corruptos del mundo?Voir aussi “No Comment – and Don’tQuote Me on That par Thalif Deen (IPS), plein d'anecdotes, sérieuses et drôles.
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