Obama a admis que la guerre de l'Empire contre la Libye a été la plus grande erreur de sa présidence. Hilary Clinton, son ancienne secrétaire d’État, principale architecte de l’intervention, au contraire, en revendique le mérite: « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort ». La contradiction réside dans une assertion : l'intervention ne concernait pas les Libyens, c'était une affaire de l'Empire. Cela vaut la peine de lire cet article deux ans après. Il nous rappelle de ne jamais prendre de décisions qui peuvent entraîner des résultats inattendus. Dans l'article en annexe, on trouve cités les documents prouvant les affirmations (Édition de Jpic.jp.org).
Une Libye en ruine hante toujours la politique américaine. Devant un pays dévasté par l’intervention impérialiste on n’arrive jamais à détourner le regard. Etait-ce, comme on le prétend, seulement un échec de planification, ou « quelque chose » d'autre ? Une terre riche en pétrole est maintenant à la merci de l'anarchie et en réalité n'est même plus un seul pays.
Pressé dans une interview par Fox News de citer la « pire erreur » de sa présidence, Barack Obama a déclaré que « le manque de planification pour le lendemain après le renversement et l'assassinat du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, ce qui était, je pense, la bonne chose à faire, a été probablement ma pire erreur », car après l'intervention de 2011, « la Libye est un pays qui sombre dans le chaos ».
Dans un récent profil fait de lui dans la revue The Atlantique, Obama qualifiait encore la Libye de « chaos ». Il y blâme, en partie, la coalition européenne dirigée par David Cameron, le Premier ministre britannique terni par les Panama Papers, pour ne pas avoir fait assez. Il blâme aussi Nicolas Sarkozy, l'ancien dirigeant français noyé dans les scandales. Cependant, l'ex président américain reproche également à ses propres analystes de ne pas avoir compris la réalité libyenne.
Au contraire, Hillary Clinton, ancienne secrétaire d'État et candidate démocrate, a une vue opposée. Elle cite l'intervention en Libye comme l'une de ses principales réussites du temps où elle dirigeait le département d'État. En tant que secrétaire d'État, elle a été l'un des plus fervents partisans de l'intervention. Un journal américain de premier plan considère la décision d’intervenir militairement en Libye « sans doute comme le moment de sa plus grande prééminence en tant que secrétaire d’État ».
Dans son rapport, Corbett Daly a écrit: « La secrétaire d’État Hillary Clinton a éclaté en rire avec un journaliste de la télévision au moment où elle a reçu la nouvelle que le dirigeant libyen destitué, Mouammar Kadhafi, avait été tué. 'Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort', a-t-elle plaisanté en commentant la mort de Kadhafi qu'un de ses assistants venait de lui rapporter entre deux entretiens formels ».
Il est clair que les deux évaluations de l'intervention, l'une de M. Obama et l'autre de Mme Clinton, sont en plein contraste. Le fait est, dit-on, que l’intervention libyenne a été la guerre d’Hillary Clinton. Scott Greer fait référence au Washington Post qui qualifie l'intervention en Libye de « guerre d'Hillary » et ajoute: « C'est elle qui a poussé le président Obama à imposer une zone d'exclusion aérienne qui a permis à l'opposition de Kadhafi de se regrouper et de remporter en 2011 cette foutue guerre civile. Elle a plaidé en faveur de la fourniture d'armes et d'un entraînement militaire aux forces rebelles, dont certaines étaient affiliées aux militants islamistes qui ont ensuite attaqué les installations nord-américaines de Benghazi ».
Scott nous fait part aussi de que « Hillary était évidemment fière de son travail. Le jour de l'attaque de Benghazi, elle avait envoyé à un membre de son personnel une note indiquant qu'elle souhaitait un documentaire sur la Libye qui la célèbre comme une héroïne ». Le long reportage du Washington Post auquel Scott fait référence détaille « le rôle essentiel joué par Hillary dans un Cabinet présidentiel divisé et une alliance internationale fragile et assemblée à la volée » pour la guerre de Libye. Le rapport cite Hillary : « Nous avons mis en œuvre une politique qui était du bon côté de l'histoire, du bon côté de nos valeurs, du bon côté de nos intérêts stratégiques dans la région ». Le rapport de Joby Warrick dans le Post cite « un responsable du département d'État nord-américain qui avait affirmé : ' C'est important pour les États-Unis, pour le président, et pour moi personnellement ', a déclaré Clinton aux dirigeants arabes ». Le Washington Post rapporte : « Ignorant l’avis des légistes du département d’Etat, Mme Clinton a convaincu Obama d’accorder une complète reconnaissance diplomatique aux rebelles, ce qui leur a permis d’avoir accès à des milliards de dollars provenant des comptes gelés de Kadhafi. Lors d'une réunion à Istanbul le 15 juillet, elle a demandé à 30 autres gouvernements occidentaux et arabes de faire de même ».
Paul Mirengoff l'appelle « l'intervention inspirée par la Clinton ». « Plus que quiconque, Hillary Clinton a plaidé en faveur et contribué à obtenir le renversement de Mouammar Kadhafi. Les courriels de Clinton sur Benghazi récemment publiés confirment que, selon les mots de son chef d'état-major adjoint, Hillary a joué un rôle clé pour obtenir l'autorisation [d'intervenir en Libye], pour construire la coalition [qui est intervenue] et pour ainsi resserrer la corde au cou de Kadhafi et son régime ». Sur le leadership d’Hillary dans l’intervention libyenne, John Hinderaker se fonde sur les courriels d’Hillary publiés par le département d’État nord-américain et écrit: « C’est Hillary qui, plus que quiconque, a poussé à renverser Mouammar Kadhafi. Clinton et ses cohortes de l'OTAN ont renversé Kadhafi. Qui a dit qu’Hillary Clinton est responsable du fiasco libyen ? Elle le dit. En fait, à un moment donné, elle a été sur le point de revendiquer la Libye comme l'accomplissement le plus notable de son mandat comme secrétaire d'État. En août 2011, Jake Sullivan, chef de cabinet adjoint d’Hillary, a écrit un courriel dans lequel il résumait 'le leadership de la secrétaire Clinton en Libye'. Le courriel indique, avec des caractères gras dans l'original : HRC a été une voix déterminante dans les délibérations de l'administration sur la Libye, lors des réunions de l'OTAN et des groupes de contact, ainsi que dans l'image publique favorable à l'engagement nord-américain en Libye. Elle a joué un rôle décisif dans l'obtention de l'autorisation, la constitution de la coalition et le resserrement de la corde au cou de Kadhafi et de son régime ». Sullivan poursuit en détaillant, jour après jour, comment Mme Clinton a orienté la politique libyenne non seulement aux États-Unis, mais également à l'OTAN. Elle est la principale responsable d'une politique qui n'a pas été simplement un échec, mais une catastrophe.
« L'ancien secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, dans son mémoire décrit également son [de Hillary Clinton] rôle essentiel dans le processus décisionnel. L'intervention faisait face, dans l'administration, à l'avis contraire du vice-président Joe Biden et du conseiller à la sécurité nationale Tom Donilon. La poussée interventionniste était publique. Les interventionnistes ne sont jamais rares. Leur coalition bien connectée comprenait de nombreux politiques, militaires, professionnels, mass media et universitaires. Les questions qui se posent, toutefois, sont les suivantes : un dirigeant ou un groupe de dirigeants a-t-il le droit de l’emporter dans le cas d’une prise de décision majeure au niveau de l’État / Empire ? Quelle est l'état de santé d'un Etat / Empire et de ses institutions / mécanismes / processus quand un dirigeant / homme politique ou un groupe de dirigeants / hommes politiques ignorent l’évaluation / l’analyse effectuée par ces institutions, etc., et l’emportent sur elles ? Ou existe-t-il d'autres dynamiques et relations si puissantes qu'une personne ou à un groupe de personnes puissent les ignorer ? Est-ce que la réalité qui se dévoile ainsi n'indique pas une ou plusieurs ' maladies ' ? Dans un État / Empire, aucun plan ne peut être mis de l'avant, aucune décision ne peut être imposée par un individu, même si cet individu est l'empire lui-même et l'Etat une monarchie ».
Ce style de planification / travail - mené par la pression d'un individu - n’apporte jamais les résultats attendus. Il est adopté sur la base des expériences passées et de la manipulation d'intérêts qui ne sont pas toujours symétriques. Les processus décisionnels, ainsi que les institutions et les organisations nécessaires pour diriger ces processus, ont été créés pour minimiser fautes et erreurs. Les résultats ne sont jamais positifs quand cette réglementation est ignorée. Et quand est-ce qu'elle est ignorée ? Elle l'est soit parce qu'on suit une réglementation alternative, soit parce qu'on ne la respecte pas. Les deux situations sont signe de maladie, de quelque chose qui n'est pas sain du tout dans un État ou un empire. Les positions contradictoires des deux dirigeants américains - Obama et Hillary - et leur différente évaluation de la catastrophe libyenne en dit long sur l'état de santé de ce qui est considéré comme une puissance impériale.
De nombreux aspects de cette histoire d'interventionnisme ne sont pas clairs. Y a-t-il eu une défaillance des services de renseignement ? Ou un échec dans la compréhension de la réalité sociale dominante en Libye ? Ou une fausse évaluation des forces impliquées à l'intérieur et à l'extérieur de la Libye ? Ou y a-t-il manqué une analyse sur les conséquences possibles de l'intervention ?
Les gaffes et les débâcles attendent en embuscade lorsque les intérêts immédiats d'un groupe se passent de l'intelligence collective, quand les intérêts commerciaux d'un groupe manipulent la sagesse politique collective, lorsqu'un individu ignore la sagesse institutionnelle. La guerre en Libye de l’empire en est un exemple. Les interventionnistes étaient motivés, comme le montrent les courriels d'Hillary publiés officiellement, par les intérêts commerciaux de quelques groupes. Ils ont débordé et manipulé la sagesse institutionnelle et les responsables politiques n'ont pas su l'empêcher. Les courriels très discutés d’Hillary montrent les liens entre les entreprises et l'intervention. Ce qui est en question, c’est la guerre de l’empire en Lybie, et non pas la petite controverse liée au rôle d’Obama ou d’Hillary. Le rôle du dirigeant individuel, sa sagesse et sa prudence dépendent du mécanisme de l'État et, plus généralement, de la réalité socio-économique. Le mécanisme étatique est une condition essentielle pour sécuriser les intérêts d'un pays. Un échec par ici, une gaffe par là ne font qu’accroître les risques pour un État et montre en même temps la qualité du leadership que les intérêts régnants produisent ou choisissent. Cela se passe dans toutes les sociétés. La guerre de l’Empire en Libye peut être vue comme faisant partie de sa guerre en Afrique. Elle montre alors, au moins en partie, une réalité : cet empire, toujours présumé triomphant, est en fait déjà en déclin.
Laisser un commentaire