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Le sens de l’expression « Sud Global »

Carnegie endowment for international peace 20.05.2024 Erica Hogan e Stewart Patrick Traduit par: Jpic-jp.org

La renaissance du concept est le signe d'une frustration persistante à l'égard des inégalités inhérentes à l'ordre mondial. Extrait.

Le vénérable concept de « Sud global » a connu une renaissance remarquable en tant que descripteur de la solidarité postcoloniale et des pays en développement dans les affaires mondiales. Toutefois, cette résurgence a également suscité des réactions négatives, de nombreuses personnes appelant à l'abandon progressif de l'expression. Dans le Financial Times, l'éditorialiste Alan Beattie qualifie l'étiquette de « condescendante, inexacte dans les faits, contradictoire dans les termes » et « profondément inutile ». Dans Foreign Policy, le stratège indien C. Raja Mohan affirme que l'expression « prive les pays individuels de leur pouvoir en les traitant comme un seul bloc » avec « des frontières fluides et des critères d'inclusion vagues ».

Certaines critiques du terme sont superficielles, fondées sur une interprétation littérale de l'expression comme désignant les pays situés sous l'équateur, les critiques notant, par exemple, que l'Inde se situe au-dessus de cette ligne, tandis que l'Australie et la Nouvelle-Zélande, plus riches, se situent en dessous. D'autres ont plus de poids, comme l'accusation selon laquelle le « Sud global » est souvent utilisé comme un synonyme négligé et fourre-tout pour les « pays en développement » ou le « tiers-monde ». En outre, l'intérêt analytique de l'expression est limité, car le concept vise à englober un ensemble de nations dont les systèmes de gouvernance, la situation économique, les alignements stratégiques et les identités culturelles diffèrent sensiblement.

Ces critiques ne doivent cependant pas occulter la pertinence politique et la puissance symbolique de l'expression, plus d'un demi-siècle après sa création. Au fil des décennies, le concept du « Sud global » a trouvé un écho auprès des gouvernements et des citoyens des pays à revenus faibles et moyens parce qu'il est l'expression d'une exclusion perçue et d'un rejet des hiérarchies persistantes de la politique mondiale. L'utilisation du « Sud global » et de termes connexes est devenue avantageuse, y compris pour les membres du Mouvement des non-alignés (MNA) qui cherchaient à éviter de choisir un camp dans la guerre froide, précisément parce que ces termes unifiaient un ensemble diversifié de nations derrière un programme commun : amplifier la voix et l'action des pays historiquement subordonnés en mettant en commun leur force économique et politique pour forcer un rééquilibrage du pouvoir dans le monde.

L'analyse historique montre donc, que plutôt qu’utiliser le « Sud global » comme un groupement rigide de nations, il est plus utile de le comprendre comme un principe d'organisation pour guider la ré imagination d'une économie internationale et d'un ordre mondial plus justes. L'appréciation de la continuité entre les mouvements anticoloniaux du XXe siècle et les questions politiques contemporaines clarifie les perspectives et les choix de nombreux pays du Sud pour les décideurs politiques des États-Unis et du reste de ce qu'il est convenu d'appeler le Nord. Pour certains, le clivage central dans la sphère internationale reste celui entre le Nord dominant et le Sud lésé, plutôt que celui entre les démocraties et les autocraties.

Le Sud global et les théories du colonialisme et de l'impérialisme

L'activiste politique américain Carl Oglesby aurait inventé le terme Global South en 1969 dans le Commonweal pour désigner un ensemble de pays perturbés par la « domination » du Nord par le biais de l'exploitation politique et économique. Le travail d'Oglesby (After Vietnam, What ? Commonweal - 1969) s'appuyait sur une tradition intellectuelle du vingtième siècle, souvent radicale et de gauche, qui décrivait l'ordre mondial comme étant créé par un sous-ensemble de nations riches et politiquement puissantes. Dans cette perspective, ces nations ont construit leur position en exploitant économiquement le reste du monde, notamment par le biais de la domination impériale, et ont par la suite continué à maintenir cette position inégale.

De nombreux théoriciens politiques du début du XXe siècle ont contribué à cette tradition, notamment J. A. Hobson, Vladimir Lénine, Antonio Gramsci et W. E. B. Du Bois. Dans son opus majeur, Imperialism, le socialiste britannique Hobson a identifié ce qu'il a appelé la « racine profonde de l'impérialisme » : la recherche incessante par les oligarques capitalistes de profits commerciaux qui ne sont plus disponibles dans leur pays d'origine. S'appuyant sur la thèse de Hobson, des théoriciens marxistes comme Lénine et Rosa Luxemburg ont décrit l'impérialisme comme le stade le plus élevé du capitalisme, un stade qui crée une division de classe mondiale entre les pays qui ont accumulé du capital et les pays qu'ils ont exploités. Dans son essai de 1926 intitulé « La question méridionale », Gramsci a appliqué la même analyse à son propre pays, affirmant que les capitalistes du nord de l'Italie avaient effectivement colonisé le sud du pays, créant ainsi une relation de dépendance inégale. (Certains théoriciens politiques affirment d'ailleurs que l'idée du « Global South » est une extension de l'analyse de Gramsci sur l'Italie). En 1925, l'intellectuel afro-américain Du Bois a ajouté une dimension raciale à cet argument, en soutenant que les États européens utilisaient la coercition politique et la contrainte économique pour créer une hiérarchie mondiale raciale qui aboutissait à tracer une « ligne de couleur » internationale.

Plus tard, les nationalistes anticoloniaux se sont appuyés sur ces idées, affirmant que la fin de la domination coloniale formelle ne suffisait pas à effacer les hiérarchies que l'empire avait ancrées dans le système mondial. Kwame Nkrumah, premier président d'un Ghana indépendant, a soutenu que la décolonisation n'avait rien fait pour modifier la subordination structurelle des anciennes colonies aux anciennes métropoles, et encore moins pour restituer les richesses et les ressources volées. Les États nouvellement indépendants restent vulnérables à la coercition politique et économique des États riches et des anciennes puissances coloniales. Pour que les États africains puissent surmonter cette vulnérabilité, Nkrumah prône le panafricanisme, y compris la mise en commun des ressources économiques et de la puissance politique. L'un des contemporains de Nkrumah, le médecin martiniquais Frantz Fanon, a également affirmé dans son livre de 1961, The Wretched of the Earth - Les damnés de la terre -, que le processus de déshumanisation du colonialisme avait créé un monde qui naturalisait la supériorité du colonisateur et l'infériorité du colonisé en un clivage « manichéen » durable. Aux yeux de ces penseurs, l'ère postcoloniale a poursuivi la colonisation par d'autres moyens, aboutissant à une ère de néocolonialisme.

Enfin, les écrits d'Oglesby s'appuient sur (et font référence à) la théorie de la dépendance. Cette école de pensée, lancée dans les années 1950 et 1960 par les économistes Raúl Prebisch et Hans Singer, entre autres, attribue le manque d'industrialisation et la persistance de la pauvreté dans les pays en développement à la structure inégale de l'économie mondiale. Selon cette théorie, les pays de la « périphérie » sont enfermés dans un état de dépendance parce qu'ils exportent principalement des ressources brutes vers les pays riches du « centre » mondial, qui exportent ensuite leurs produits manufacturés à valeur ajoutée vers la périphérie. Les pays riches contrôlent ainsi les termes de l'échange, perpétuant cette dépendance. Comme l'explique Oglesby, les pays pauvres sont inévitablement confrontés à « des prix à l'importation plus élevés, des recettes d'exportation plus faibles » et « une dette croissante, une capacité de financement de la dette de plus en plus faible ». La théorie de la dépendance s'oppose à la théorie de la modernisation, qui postule que toutes les sociétés passent par des stades de développement similaires et que les États postcoloniaux « sous-développés » peuvent « rattraper » les pays développés s'ils mènent les bonnes politiques. Selon la théorie de la dépendance, au contraire, l'éradication de la pauvreté dans le monde passe par une restructuration substantielle de l'économie mondiale et une réduction du pouvoir des pays centraux.

Voir, A Closer Look at the Global South

Photo. SOUDAN, Narus. Distribution à 15 000 personnes déplacées. Elles sont encouragées à rentrer chez elles et à semer avant la saison des pluies. 19/03/87. © CICR / MULLER, Yannick

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