Depuis son introduction en 2007, le programme REDD (Réduction des Emissions dues à la Déforestation et à la Dégradation des forêts) est devenu la politique forestière dominante dans le monde entier, avec un impact sur les communautés dépendantes des forêts, en particulier dans les pays dotés de forêts tropicales. L'expérience des 15 dernières années a montré de façon accablante l'échec catastrophique de REDD à lutter contre la déforestation et la dégradation des forêts et, pire encore, que RDD a intensifié la crise climatique et laissé intactes les causes de la déforestation. En fait, REDD est devenu une cause sous-jacente de la déforestation et du changement climatique.
Au début de l'année 2023, World Rainforest Movement a publié un dossier de 103 pages préparé par un pool d'auteurs qui, dès son titre, pointe un doigt accusateur : 15 Years of REDD: A Mechanism rotten to the Core (15 ans de REDD : un mécanisme pourri jusqu'à la moelle). Cette publication est disponible en anglais, espagnol, portugais, français et indonésien. Ce travail a été rendu possible grâce aux contributions de Misereor/KZE (Allemagne), de l'Agence suédoise de coopération internationale au développement par l'intermédiaire de la Société suédoise pour la conservation de la nature (SSNC), et de Pain pour le prochain (Suisse).
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Le programme REDD a dominé la politique forestière internationale au cours des 15 dernières années, avec la promesse de rendre les arbres plus précieux sur pied qu'abattus et, ce faisant, de fournir un moyen rapide et peu coûteux de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Il ne fait aucun doute, aujourd’hui, que REDD n'a pas réussi à réduire la déforestation à grande échelle. Cependant, se concentrer sur l'échec évident de REDD ne donne qu'une image incomplète de son héritage préjudiciable.
REDD est l'abréviation anglaise de « Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation » (Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts). Le point de départ de REDD était l'hypothèse selon laquelle l'offre de récompenses financières convaincrait les responsables de la destruction des forêts de renoncer à leurs projets ; en échange du paiement de REDD, ils protégeraient au contraire la forêt. REDD ferait ainsi en sorte que les arbres aient plus de valeur debout qu’abattus et, en ce faisant, offrirait un moyen rapide et peu coûteux de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Pour les partisans de REDD, tout ce qui était nécessaire pour mettre fin à la déforestation, c'était d'offrir des récompenses financières pour protéger la forêt et non pour la détruire.
Toutefois, les entreprises qui empochent des milliards en transformant les forêts en plantations de palmiers à huile ou de soja, en pâturages pour le bétail ou en les détruisant pour ouvrir des mines, des réservoirs hydroélectriques, des autoroutes et d'autres infrastructures, n'étaient pas intéressées par REDD.
Certains n'étaient pas intéressés parce qu'ils pouvaient gagner beaucoup plus s'ils continuaient à détruire les forêts. Quiconque « répond à des incitations purement économiques opterait plutôt pour l'huile de palme », écrivait déjà en 2014 le groupe pro-REDD Ecosystem Market Place.
D'autres n'étaient pas intéressés parce que leur déforestation était illégale. Quelle entreprise allait demander à REDD des paiements en disant qu'elle était prête à abandonner ses plans de destruction illégale des forêts ?
Il y avait aussi ceux qui s'engageaient dans la déforestation principalement pour revendiquer la propriété de terres ou pour renforcer leurs revendications de propriété. Pour ce groupe, la promesse de paiements de REDD n'avait que peu d'intérêt, car leur principale motivation pour déboiser n'était pas le profit financier immédiat.
15 ans plus tard, ce concept introduit par les Nations Unies dans les négociations sur le climat avec la promesse qu'il conduirait à une réduction rapide et peu coûteuse des émissions dues à la destruction des forêts tropicales, n'a pas réussi à faire reculer la déforestation à grande échelle. Dans des pays comme le Brésil, le Pérou ou la République démocratique du Congo, la déforestation a même augmenté depuis l'introduction de REDD. Cet échec de REDD à réduire la déforestation a été largement documenté.
Une étude récente sur l'efficacité du financement du gouvernement allemand pour REDD explique pourquoi les histoires à succès de REDD abondent néanmoins : un « ajustement à la baisse des attentes » sur ce que REDD devait réaliser a permis aux partisans de REDD de construire « des effets apparemment positifs dans le contexte de l'attrait limité de l'instrument ». Le prix de cet ajustement : « Diluer l'objectif plus ambitieux d'arrêter la déforestation ».
Se concentrer uniquement sur l'échec évident de REDD dans sa contribution à réduire la perte de forêts semble toutefois donner une image incomplète de l'héritage préjudiciable de cet instrument. REDD n'est pas un échec pour tout le monde.
REDD n'a pas échoué pour ceux qui l'ont utilisé comme un outil pour accroître leur contrôle sur les terres cultivées par les communautés dépendantes de la forêt. L'histoire selon laquelle l'agriculture sur brûlis détruit la forêt, que l'agriculture paysanne est à l'origine de la déforestation et que les pratiques culturales des populations forestières doivent être « modernisées » - bien qu'elle soit fausse et qu'elle renforce les préjugés coloniaux - est encore plus largement acceptée aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a 15 ans.
De plus, étant donné que presque toutes les activités de REDD se concentrent sur le changement de la manière dont les paysans et les populations forestières utilisent les forêts, et non sur la déforestation à grande échelle, les destructions causées par les entreprises sont rendues moins visibles grâce à REDD. REDD, et en particulier sa dernière incarnation appelée Nature-based solutions (NbS) - Solutions climatiques basées sur la nature -, n'a pas non plus diminué l'industrie des combustibles fossiles. REDD a plutôt fourni à cette industrie une excuse pour continuer à détruire les réserves souterraines de carbone, qui sont au cœur de leur modèle d'entreprise et de la dégradation du climat.
Avec REDD, et maintenant avec NbS, les compagnies pétrolières, charbonnières et de gaz fossile prétendent qu'elles peuvent poursuivre leur destruction rentable sans endommager le climat. Tout ce qu'elles ont à faire, c'est de payer quelqu'un qui prétend économiser du carbone ailleurs. Les compagnies aériennes, les sociétés minières, les agro-industries, les sociétés d'engrais et d'alimentation, entre autres, ont également utilisé REDD comme stratégie pour maintenir le modèle capitaliste de leurs modes de production et de consommation dépendant des combustibles fossiles, dont elles tirent profit.
La réalité, cependant, est qu'il est impossible de compenser l'impact sur le climat causé par le carbone une fois qu’il est sorti de ses dépôts souterrains qui ont mis des millions d'années à se former. Prétendre qu'une telle compensation peut être obtenue en payant pour des activités REDD telles que planter plus d'arbres ou éviter une déforestation prétendument planifiée, est une illusion dangereuse. En entretenant cette illusion, REDD contribue à retarder les discussions inévitables sur l'arrêt de l’utilisation des combustibles fossiles et, ce faisant, REDD devient lui-même un moteur de la dégradation du climat.
Enfin et surtout, les sociétés d’évaluation, les ONG internationales de conservation et les groupes de réflexion ont tous bénéficié des généreux programmes de financement REDD des pays industrialisés et des organisations philanthropiques, ainsi que des achats de compensations carbone par les entreprises. Les agences de vente spécialisées dans REDD, les propriétaires de projets REDD du secteur privé, les développeurs de normes de certification et les sociétés d'audit se sont également taillé une place lucrative. Pour eux, REDD n'a pas non plus été un échec.
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