Justice, Paix, Intégrité<br /> de la Création
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Si la religion fait défaut, l’humanité fait défaut aussi

La Stampa 15.08.2024 Vito Mancuso Traduit par: Jpic-jp.org

Connaître le divin rend les sociétés fortes. La polémique sur la représentation des drag queens qui rappelait soit la Cène, offensant les chrétiens, soit le banquet du dieu païen Pan, réduisant le mouvement des LGTB à une orgie, a conduit à la réflexion de l'archevêque de Turin, Roberto Repole : « Le manque de la participation des jeunes à l'expérience chrétienne me fait penser que l'Église aujourd'hui n'est plus perçue comme une ressource spirituelle ».

Il y a deux mille ans, Plutarque, historien, philosophe et prêtre du temple de Delphes, se demandait : « Pourquoi les temples des Dieux sont-ils déserts ? » En d’autres termes, c’est la même observation. Ailleurs Plutarque avait rapporté le cri déchirant qui annonçait au monde la mort du dieu Pan, le plus païen des dieux, donc la mort du paganisme, constatant le lent mais inexorable déclin de la civilisation classique : il avait bien vu, car quatre siècles après le déclin, cela aboutirait à des invasions barbares et à l’établissement d’une autre civilisation. Aujourd’hui, cette civilisation qui s’est établie et que d’un seul mot nous pouvons qualifier d’européenne, c’est-à-dire notre civilisation, montre à son tour les signes d’un déclin peut-être tout aussi imparable. L'une des premières attestations du déclin de l'Europe chrétienne remonte à il y a deux siècles, lorsque Hegel déclarait dans ses cours à l'Université de Berlin : « L'idée pourrait nous venir d'établir une comparaison avec l'époque de l'Empire romain où le rationnel et le nécessaire ne trouvaient refuge que sous la forme du droit et du bien-être privé, parce que l'unité générale de la religion avait disparu et que la vie politique générale était également annulée, et que l'individu, perplexe, inactif et découragé, ne s'occupait que de lui-même et non de ce qui est en soi et par soi-même, ce qui est abandonné même dans la pensée».

Pour Hegel, et avant lui pour Plutarque, le déclin de la religion va de pair avec le déclin de la politique. Tous deux signalent l'état de santé de l'esprit humain par rapport à l'Histoire : lorsque l'esprit est sain, il produit une religion et une politique qui font évoluer l'histoire et la nature ; mais lorsque l'esprit est faible et malade, c'est l'Histoire et plus encore la nature qui prennent le dessus, réduisant tout à une lutte impitoyable pour la survie de l'un contre l'autre. « Bellum omnium contra omnes », pour reprendre la célèbre expression de Thomas Hobbes : « Guerre de tous contre tous ». Hegel poursuit : « Tout comme Pilate demandait : qu'est-ce que la vérité ? de même aujourd'hui nous recherchons le bien-être et la jouissance privée. Aujourd'hui, le point de vue moral, un agir, des actions, des opinions et des croyances absolument particulières, sans véracité, sans vérité objective sont courants. Le contraire est valable : je ne reconnais que mon opinion subjective ». Et il a conclu : « Nous ne savons pas, nous ne savons rien de Dieu ».

N'est-ce pas vrai ? Je crois que chacun de nous a la preuve quotidienne de cet état de choses pour lequel seule la volonté subjective est valable, en l'absence totale d'un canon objectif qui régit l'éthique, l'esthétique, l'éducation et autres expressions de la subjectivité humaine. Il ne nous reste, alors, que le droit de nous maintenir ensemble, mais on peut y parvenir et le faire uniquement grâce à la force. Le résultat est que notre civilisation se caractérise par des querelles et des conflits croissants, nous sommes en proie à la colère et à la rage, à une agression sans limites qui génère des plaintes, des procès, des condamnations, des appels et encore des appels sans fin et un état général d'anxiété, de peur, de panique (terme qui dérive de Pan, signifiant que le vieux dieu, en réalité, n'est pas mort du tout).

Faute de religio, il manque l’humanitas ; et en l’absence d’humanitas, les conditions manquent pour se comprendre, à commencer par les paroles et les bonnes manières, et aussi pour vivre ensemble, sinon exactement en partenaires, du moins en bons voisins. Mais nous ne sommes pas de bons voisins les uns envers les autres, nous sommes des étrangers : des étrangers moraux, le plus haut degré d’étrangeté. Et nous en sommes réduits à cela parce que, comme le disait Hegel, « nous ne connaissons plus Dieu ».

Une civilisation plus elle connaît le divin plus elle est forte, et plus elle est faible plus elle l’ignore. Il ne s’agit évidemment pas de connaissances catéchétiques et doctrinales ; c'est plutôt cette expérience concrète et existentielle qui conduit l'être humain à avoir un autel au centre de son cœur, un espace idéal qui lui permet de reconnaître et de vénérer quelque chose de plus important que son propre intérêt particulier ou sa « jouissance privée ». Le partage commun de cet autel fait d'une masse anonyme d'individus un groupe de membres, une société ; et c’est ainsi que les individus transcendent leurs propres intérêts particuliers et donnent naissance à une civilisation, terme qui en latin, de manière significative, s’appelle humanitas.

Mais aujourd’hui, l’absence de religio va de pair avec l’absence de societas et d’humanitas. Le monde entier en souffre, mais en particulier l’Occident, territoire le plus sécularisé et donc le plus déraciné. Le problème soulevé par l'archevêque de Turin a donc une dimension qui dépasse largement la seule dimension religieuse : il ne s'agit pas de la survie d'une religion particulière et de l'institution qui la représente ; il s'agit, bien plus profondément, de la survie d'une civilisation, la nôtre, et de la santé psychique et existentielle de chacun de nous, à commencer par nos enfants qui sont les premières victimes de ce manque d'idéaux, d'espoir, de visions, de confiance.

Il fut un temps où le christianisme pensait pouvoir se présenter comme un remède aux maux du monde, mais aujourd'hui il fait partie du problème. Le cardinal Carlo Maria Martini l'avait souligné il y a presque vingt ans : « Autrefois, j'avais des rêves sur l'Église. Une Église qui avance dans la pauvreté et l'humilité... qui donne de l'espace à des personnes capables de penser plus ouvertement. Une Église qui donne du courage, surtout à ceux qui se sentent petits ou pécheurs. Je rêvais d'une Église jeune. Aujourd’hui, je ne fais plus ces rêves » (extrait de Conversations nocturnes à Jérusalem).

La gravité de la crise apparaît dans le fait que, dans l’Église, il semble y avoir un manque d’esprits capables de comprendre les dimensions du problème. On estime encore que quelques ajustements ici et là suffisent, quelques entrouvertes qui sont plus de façade que de fond, comme celles proposées par le pontificat du pape François. La situation est cependant celle photographiée par l'archevêque de Turin : « Nous vivons dans un christianisme qui n'offre pas de véritables chemins de spiritualité ». Mais si une religion n’offre pas de véritables chemins de spiritualité, à quoi ça sert ? C'est comme garder ouvert un restaurant qui ne propose pas de nourriture.

Je termine en rapportant à nouveau la pensée du cardinal Martini : « J'ai toujours été enthousiasmé par Teilhard de Chardin, qui voit le monde avancer vers le grand but, où Dieu est tout en tout... L'utopie est importante : ce n'est que lorsqu'on a une vision que l'Esprit vous élève au-dessus des conflits mesquins ».

La dernière chose qui m'intéresse, ce sont les conflits mesquins. Si j'ai pris la liberté de reprendre et de commenter les déclarations de l'archevêque de Turin, c'est pour laisser entrevoir une nouvelle utopie, étant donné que ce qui a gouverné les esprits chrétiens pendant des siècles, à savoir la christianisation du monde, est révolu. Aujourd’hui, personne ne peut légitimement espérer que le monde entier devienne chrétien. Pour cette raison, il n'est plus tenable d'affirmer qu'« il n'y a pas d'autre nom en qui il y a le salut, si ce n'est celui de Jésus-Christ ». Non seulement l’axiome « ​​extra Ecclesiam nulla salus » (il n’y a pas de salut en dehors de l’Église) est obsolète, mais aussi l’axiome encore plus décisif « extra Christum nulla salus ». Le salut (du péché, du nihilisme, du mal, de la méchanceté, de la guerre intérieure qui dévore nos cœurs) vient à tous ceux qui le recherchent en invoquant les noms que chacun connaît et en vivant selon l'esprit d'amour et de justice.

C'est l'Esprit qui le veut ainsi, cet Esprit qui guide le monde et qui parle toujours à travers ses grands prophètes, de Gioacchino da Fiore à Teilhard de Chardin et Carlo Maria Martini et bien d'autres noms bénis.

Voir, Vito Mancuso: Conoscere il divino rende forti le società. Se manca la religione, manca l’umanità

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Les commentaires de nos lecteurs (2)

Paul Attard 25.09.2024 Maybe Christianity is not in decline as much as the “churches” who are supposed to represent Christianity. The Anglican Church cannot decide what a woman is! And the Catholic Church here in Spain doesn’t seem to be showing ordinary people what Christianity is.
dario 04.10.2024 Card Martini uomo di grande intelletto..concordo