Après l'Angélus du dimanche 12 février passé, le pape François a déclaré : « Les nouvelles en provenance du Nicaragua ne m'ont pas peu attristé et je ne peux m'empêcher d'évoquer avec préoccupation l'évêque de Matagalpa, Mgr Rolando Alvarez, que j'aime tant, condamné à 26 ans de prison, ainsi que les personnes qui ont été expulsées vers les États-Unis. Je prie pour eux et pour tous ceux qui souffrent dans cette chère nation ».
Le pape a ensuite demandé à Dieu « d'ouvrir le cœur des responsables politiques et de tous les citoyens à la recherche sincère de la paix, qui naît de la vérité, de la justice, de la liberté et de l'amour et qui se réalise à travers l'exercice patient du dialogue ».
Que se passe-t-il dans ce pays d'Amérique latine ?
Monseigneur Rolando Alvarez, évêque de Matagalpa et administrateur apostolique d'Estelí, au nord du Nicaragua, a été condamné dans la soirée du 10 février passé à 26 ans et 4 mois de prison, privé à perpétuité de ses droits civiques, pour avoir refusé de quitter le pays avec les 222 prisonniers politiques expulsés. L'évêque est accusé d'atteinte à l'intégrité nationale de l'État et de la société nicaraguayenne, de diffusion de fausses nouvelles et d'outrage à l'autorité. Monseigneur Alvarez, âgé de 56 ans, était assigné à résidence depuis le mois d'août dernier.
Depuis longtemps, le régime de Daniel Ortega a pris des mesures répressives à l'encontre de l'Eglise du Nicaragua, considérée comme non alignée sur le pouvoir. La chaîne de télévision de la Conférence épiscopale et deux autres chaînes catholiques, ainsi que plusieurs radios catholiques, ont été fermées ; l'accréditation diplomatique de Waldemar Stanislaw Sommertag, nonce apostolique à Managua depuis 2018, a été retirée, l'obligeant à quitter le pays ; des processions et des pèlerinages ont été empêchés ; plusieurs prêtres ont été arrêtés sur la base d'accusations forgées de toutes pièces ; la personnalité juridique de plus de 600 ONG a été annulée, y compris l'association des Missionnaires de la Charité dont les religieuses de Mère Teresa ont dû quitter le pays.
Des dizaines de milliers de nicaraguayens se sont exilés ces dernières années, notamment après les grandes manifestations populaires de 2018, en raison de la répression d'un régime souvent comparé à la dictature somoziste contre laquelle était née la révolution de 1979, sous la bannière du révolutionnaire Sandino (Fides).
À l'origine, les grands changements du Front sandiniste devenu propriété privée, aux mains du couple présidentiel, Daniel Ortega et Rosario Murillo, qui détiennent le contrôle absolu des institutions de l'État, en symbiose avec l'oligarchie économique nicaraguayenne.
L'exil est devenu la seule possibilité de résistance
Le Nicaragua, comme beaucoup de pays d'Amérique centrale, a une histoire cyclique d'oppression, vivant dans une spirale de régimes autoritaires, de résistance sociale, de lutte pour la démocratie et de situations douloureuses.
Après la chute du régime somoziste en 1979, personne n'aurait imaginé que, 40 ans plus tard, le gouvernement du même parti qui avait mené la révolution contre cette dictature se transformerait en une nouvelle dictature. Daniel Ortega, revenu au pouvoir lors des élections de 2006, a instauré un régime de terreur, déclenché par la réaction répressive de 2018 contre les manifestations pacifiques qui avaient vu le jour en réaction aux réformes unilatérales de la sécurité sociale. Ces manifestations étaient l'expression du mécontentement social qui s'était accumulé depuis le retour au pouvoir d'Ortega qui avait impulsé une forte détérioration des libertés civiles, l'abolition de la séparation des pouvoirs en soumettant toutes les institutions de l'État à la présidence, des fraudes électorales de plus en plus évidentes, la vente d'une partie du territoire du pays à une entreprise chinoise pour la construction d'un canal interocéanique, l'endoctrinement du système éducatif et l'utilisation de l'État à des fins partisanes.
Aux protestations, le régime d'Ortega avait répondu par la répression, causant des pertes civiles, l'indignation générale et des protestations généralisées : manifestations, barrages routiers, grèves. La population exigeait la fin de la violence et la démission du président Daniel Ortega et de son épouse Rosario Murillo, vice-présidente.
Le nombre exact de personnes tuées et disparues n'est pas connu. Selon une mise à jour de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, 355 meurtres documentés ont été commis par le régime.
Après avoir réprimé les manifestations, démantelé les barrages et poursuivi les dirigeants locaux et nationaux, la répression s'est intensifiée avec des enlèvements et des emprisonnements, instaurant un État policier dans tout le pays. À ce jour, il y a au moins 190 prisonniers politiques détenus, sans compter ceux qui ont été libérés et qui vivent dans une persécution constante. Plus de 600 organisations de la société civile, composées de féministes, de défenseurs des droits de l'homme et d'établissements d'enseignement, sont devenues la cible du régime et ont été légalement annulées. Ces mesures autoritaires et ce contrôle dictatorial signifient que l'ensemble du Nicaragua est désormais sous l'emprise de la présidence, avec la séquelle d’une émigration à grande échelle.
Depuis le début des manifestations, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés au Costa Rica, plus de 100 000 personnes ont quitté le pays (Nicaragua. Tra silenzio ed esilio).
Le cas de Dora Maria Téllez, commandante historique de la révolution sandiniste nicaraguayenne, emprisonnée depuis plus de 500 jours dans les terribles prisons d'El Chipote, à qui l'Université Paris III - Sorbonne Nouvelle a décerné un doctorat honoris causa à la fin du mois de novembre dernier, en hommage à « son parcours politique et scientifique exceptionnel et à son engagement en faveur de la démocratie et de la justice sociale », est particulièrement significatif.
En recevant le doctorat au nom de la prisonnière, le journaliste Chamorro a appelé les mouvements de gauche et les gouvernements d'Amérique latine à élever la voix contre le régime nicaraguayen : « Une dictature ne peut être justifiée sous le prétexte d’être la gauche ».
(Nicaragua, l’audacia e la risata invincibile di Dora María Téllez). On se demande pourquoi on n'assiste pas aujourd'hui à une vaste campagne pour sa libération et pour la dénonciation du régime de terreur d'Ortega-Murillo. La réponse désolante est que, écrit Raúl Zibechi (Las izquierdas ante Dora María Téllez), à quelques rares exceptions près, les forces politiques de gauche et progressistes, et pas seulement en Amérique latine, ne s'intéressent pas aux droits civils, mais ne regardent que le pouvoir ; elles misent tout sur le pouvoir et, pour le pouvoir, elles sacrifient l'éthique et la dignité. Cela a sa propre logique : si le pouvoir est tout, le reste n'a que peu d'importance, puisqu'il est subordonné à l'objectif principal.
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