Le ‘Manifeste du Parti Communiste ?’ texte d'une époque révolue, rédigé par Karl Marx et Friedrich Engels, commence par un avertissement implicite : « Un spectre hante l’Europe — le spectre du communisme ». Et aujourd’hui, un autre spectre hante — cette fois les Nations Unies — le spectre d’une seconde présidence Trump.
Lors de son premier mandat en janvier 2017, Trump a soit coupé les financements, ou s’est retiré, soit a dénigré plusieurs agences de l’ONU et institutions affiliées, notamment l'Organisation mondiale de la santé, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), l'Organisation mondiale du commerce (OMC), l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) et le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, entre autres.
Face à une seconde présidence Trump, l’ONU doit-elle se préparer à une nouvelle crise politique ?
Selon un rapport de Cable News Network (CNN) d’octobre dernier, Trump aurait déclaré que, s'il revenait à la Maison Blanche, il rétablirait et élargirait une interdiction de voyage pour les ressortissants de pays majoritairement musulmans, suspendrait la réinstallation des réfugiés et expulserait de manière agressive ceux qu’il considère avoir des « sympathies djihadistes ».
Il a cité les attaques du Hamas contre Israël du 7 octobre comme raison de sa politique d’immigration stricte, ajoutant qu’il interdirait les voyages en provenance de Gaza, de Syrie, de Somalie, du Yémen, de Libye « ou de tout autre lieu menaçant notre sécurité ».
Quand Trump est monté pour la première fois sur le podium de l’Assemblée générale, il a regardé les centaines de délégués étrangers de 192 pays et aurait demandé : « Comment diable êtes-vous entrés dans ce pays ? », selon une plaisanterie en circulation au salon des délégués de l'ONU.
Une rumeur courait aussi sur un nouveau slogan touristique sous la présidence de Trump : « Visitez-nous avec un billet aller simple — et nous vous ramènerons chez-vous gratuitement ».
Lors d’une réunion à la Maison Blanche en 2017, Trump aurait également affirmé que tous les Haïtiens « ont le sida », que les Nigérians devraient « retourner dans leurs huttes en Afrique » et se serait interrogé sur l’utilité pour les États-Unis d’accueillir des personnes provenant de « pays de merde » d’Afrique, d'après un rapport du New York Times. Il aurait également montré son ignorance en demandant si le Royaume-Uni était une puissance nucléaire et si le Népal (qu’il prononçait « Nipple ») et le Bhoutan (prononcé « Button ») faisaient partie de l’Inde.
Interrogé sur une éventuelle seconde présidence Trump, Kul Gautam, ancien Secrétaire général adjoint de l'ONU et Directeur exécutif adjoint de l’UNICEF, a déclaré : « Oui, cela représenterait un danger potentiel considérable et avec beaucoup d’imprévisibilité pour le système de l’ONU en cas d’un second mandat de Trump, bien que cela soit peu probable ». Cependant, il a ajouté que l’ampleur de ce danger dépendra de ce qui se passera au Congrès américain. Si Trump est élu et que la Chambre des représentants ainsi que le Sénat sont également dominés par les Républicains, l’ONU pourrait faire face à un risque majeur. Il rappelle qu’au début de l’année, les Républicains de la Chambre ont annulé le financement du budget ordinaire de l’ONU et de plus d'une douzaine d'entités de l'ONU, y compris l'UNICEF et l'OMS. Ainsi, le pire scénario pour l’ONU serait Trump à la Maison Blanche avec une majorité républicaine dans les deux chambres du Congrès américain [et cela est arrivé !].
Mais si une ou les deux chambres du Congrès sont détenues par le Parti démocrate, Trump seul ne pourrait causer de dommages irréparables aux Nations Unies. Néanmoins, une coupure de financement par les États-Unis de certaines agences de l’ONU porterait un grand préjudice à ces entités et aux services importants qu’elles fournissent, a déclaré Gautam, auteur de My Journey from the Hills of Nepal to the Halls of the United Nations.
Stephen Zunes, professeur de sciences politiques et directeur des études internationales à l’Université de San Francisco, qui a beaucoup écrit sur la politique des Nations Unies, a déclaré : « Oui, ce serait effectivement désastreux et le financement de l’ONU pour ces agences et institutions affiliées serait effectivement réduit ».
Il convient de noter cependant que Biden a déjà éliminé le financement américain pour l’UNRWA et a menacé d’éliminer le financement de toute organisation qui reconnaît la Palestine comme membre à part entière. Bien que Harris soit généralement moins hostile aux normes juridiques internationales que Biden, rien ne laisse penser qu’elle renverserait ces politiques, a déclaré Zunes. « Compte tenu du manque de respect de Trump pour les lois et institutions nationales, il n’est pas surprenant qu’il éprouve un mépris similaire pour les lois et institutions internationales », a-t-il ajouté.
Samir Sanbar, ancien Secrétaire général adjoint de l’ONU et chef de l’ancien Département de l’information publique (DPI), a déclaré qu’en plus d’accueillir des hauts fonctionnaires de l’ONU à la Trump Tower, en face du siège de l’ONU, l’ancien président américain aimait aussi être assis à la table principale lors du déjeuner des chefs d’État à l’ouverture de la session de l’Assemblée générale.
Sous une présidence Trump, a-t-il dit, il existe donc un risque sérieux de blocage des paiements pour certaines agences et fonds de l’ONU, en particulier l’UNRWA. De plus, l'OMS et possiblement l'UNICEF pourraient faire face à des réductions, notamment pour leur assistance à Gaza. « Et j’ai lu quelque part que le gendre de Trump, Jared Kushner, préférerait vider Gaza de ses deux millions d’habitants pour en faire une région touristique », a déclaré Sanbar.
Commentant la menace récurrente des États-Unis de couper les fonds à l’ONU, Gautam a déclaré qu’un dé-financement drastique par les États-Unis serait une bénédiction déguisée pour que l’ONU explore sérieusement un mécanisme de financement alternatif à long terme et réduise sa dépendance excessive vis-à-vis des États-Unis.
Pour éviter la menace perpétuelle et le chantage des États-Unis et parfois d'autres États membres de retirer leur financement à l'ONU, « je suis tout à fait pour ressusciter, reconsidérer et reformuler une proposition très créative présentée par l'ancien Premier ministre suédois Olof Palme en 1985. Palme avait proposé qu'aucun pays ne soit sollicité ou autorisé à contribuer à plus de 10% du budget de l'ONU ». Cela aurait signifié une réduction significative de la part américaine dans le budget de l’ONU de 25 % à 10 %, et une modeste augmentation de la contribution de la plupart des autres pays. « Je suis pour la proposition Palme afin de réduire la dépendance excessive de l’ONU envers une poignée de grands donateurs et de réduire parallèlement l’influence excessive de ces pays dans la nomination aux postes de haut niveau à l’ONU et dans les processus de prise de décision ».
« Aujourd’hui, de nombreuses activités de l’ONU bénéficient de contributions volontaires de gouvernements, ainsi que du secteur privé et de fondations philanthropiques. Je pense que nous devons sérieusement explorer davantage de telles possibilités innovantes, y compris des revenus tirés des biens communs mondiaux et de la taxe Tobin, pour libérer l'ONU des menaces perpétuelles de réductions arbitraires et de dé-financement par les principaux donateurs ».
Il convient de rappeler que, dans le cadre du financement international, dans une économie mondiale de 103 000 mille milliards de dollars et des budgets militaires mondiaux de 2,4 mille milliard de dollars par an, le budget annuel régulier de l'ONU est inférieur à 4 milliards de dollars, et l'ensemble du budget du système onusien pour l'aide humanitaire, la coopération au développement, les opérations de maintien de la paix, l'assistance technique et d'autres fonctions normatives essentielles s'élève à moins de 50 milliards de dollars par an. « C'est un montant modeste pour répondre aux immenses défis que l'ONU est invitée et censée aider à relever. Pour mettre cela en perspective, les dépenses annuelles totales du système onusien sont bien inférieures aux dépenses mensuelles des États-Unis pour la défense, et inférieures à la seule aide militaire américaine pour Israël ou l’Ukraine ».
Avec un investissement similaire, l'aide bilatérale et les budgets nationaux de proportions bien plus importantes pourraient difficilement atteindre des résultats comparables à ceux que l'ONU et les institutions financières internationales parviennent à obtenir, a déclaré Gautam.
Voir, Is the UN Ready for a Second Trump Presidency?
Photo. Le président américain Donald Trump (2017-2021) présidant une réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies
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