« Il n'est guère controversé aujourd'hui de souligner que les Nations unies semblent paralysées. Lorsque le Conseil de sécurité accorde un droit de veto à la Russie de Vladimir Poutine, il y a un problème. Ajoutez à cela le fait que la Chine et les États-Unis sont d'accord sur très peu de choses, et vous obtenez la recette pour le désespoir, avant même de considérer comment réformer une institution qui est née à une autre époque, il y a presque 80 ans, lorsque le Sud mondial était préoccupé par la faim, et non par les smartphones ou l'énergie propre » (FP - De l'éditeur Ravi Agrawal).
« D'autres augustes institutions nées dans cette période d'après-guerre semblent tout aussi déconnectées : la Banque mondiale a toujours un président nommé par les États-Unis ; le Fonds monétaire international a toujours un dirigeant européen. Il n'est donc pas étonnant que des pays comme la Chine, l'Inde, l'Indonésie et le Nigeria, dont l'influence n’a cessé de croître au cours de ce siècle, recherchent d'autres forums qui leur permettent de s'exprimer » [Et non seulement de s’exprimer mais aussi d’imposer leur point de vue et leurs intérêts].
Ravi Agrawal écrivait ces lignes en septembre dernier, le mois qui marque habituellement « le début de la saison où les dirigeants se rencontrent, aux Nations unies et à d'autres réunions multilatérales ». Le journaliste de Foreign Policy s'appropriait ainsi la pensée de plusieurs institutions et personnalités qui pointent du doigt l'inefficience de cette organisation qui aurait pour mission de garder l'ordre, l'équilibre et la justice dans le monde en prévenant les conflits.
Parmi ces personnalités le Pape François qui dans un message adressé le 14 juin 2023 au Conseil de Sécurité de l’ONU avertissait : « Les yeux pleins de larmes » les enfants victimes de la guerre « nous jugent ».
Le message avait été lu par Mgr Paul Richard Gallagher, secrétaire pour les Relations avec les États, dans le cadre d’une réunion organisée à l’initiative des Émirats arabes unis qui assumaient, en juin 2023, la présidence tournante du Conseil de Sécurité.
Après avoir remercié pour l'invitation à leur adresser la parole, le Pape affirmait l’avoir acceptée « car nous traversons un moment crucial pour l'humanité, où la paix semble céder devant la guerre. Les conflits augmentent et la stabilité est de plus en plus menacée ». Cela dit alors que la guerre en Israël n’était pas encore déclenchée. Déjà le Pape sentait que « Nous vivons une troisième guerre mondiale par morceaux qui, plus le temps passe, semble s'étendre ».
Le Pape a donc émis une critique frontale contre l’inefficacité du Conseil de Sécurité, resté notamment passif face à la guerre en Ukraine en raison des droits de veto de la Chine et de la Russie : « Le Conseil, dont le mandat est de veiller à la sécurité et à la paix dans le monde, apparaît parfois impuissant et paralysé aux yeux des peuples. Mais votre travail, apprécié par le Saint-Siège, est essentiel pour promouvoir la paix et c'est pourquoi je vous invite ardemment à aborder les problèmes communs en vous éloignant des idéologies et des particularismes, des visions et des intérêts partisans, et en cultivant un seul objectif : œuvrer pour le bien de toute l'humanité. En effet, du Conseil, on attend qu'il respecte et applique la Charte des Nations Unies avec transparence et sincérité, sans arrière-pensées, comme un point de référence obligatoire de justice et non comme un instrument pour dissimuler des intentions ambiguës.
Voilà son reproche : « Dans le monde globalisé d'aujourd'hui, nous sommes tous plus proches, mais pas pour autant plus frères. Au contraire, nous souffrons d'une famine de fraternité, qui découle de nombreuses situations d'injustice, de pauvreté et d'inégalité, du manque d'une culture de la solidarité. Les nouvelles idéologies, caractérisées par un individualisme, un égoïsme et une consommation matérialiste diffus, affaiblissent les liens sociaux, nourrissant cette mentalité du rebut qui conduit au mépris et à l'abandon des plus faibles, de ceux qui sont considérés comme inutiles. Ainsi, la coexistence humaine devient de plus en plus semblable à une simple relation pragmatique et égoïste du type donnant-donnant. Mais, l'effet le plus néfaste de cette famine de fraternité, sont les conflits armés et les guerres, qui divisent non seulement les individus, mais des peuples entiers, et dont les conséquences négatives se répercutent sur plusieurs générations. Avec la création des Nations unies, il semblait que l'humanité avait appris, après deux terribles conflits mondiaux, à s'orienter vers une paix plus stable, à devenir enfin une famille de nations. Il semble au contraire que nous régressions dans l'histoire, avec l'émergence de nationalismes fermés, exacerbés, rancuniers et agressifs, qui ont déclenché des conflits non seulement anachroniques et dépassés, mais même plus violents ».
Le Pape rappelle alors une des racines du problème, les intérêts économiques et s’inspire de sa foi pour affirmer : « Je crois que la paix est le rêve de Dieu pour l'humanité. Mais je constate malheureusement que, à cause de la guerre, ce merveilleux rêve se transforme en cauchemar. Certes, du point de vue économique, la guerre est souvent plus attrayante que la paix car elle favorise les profits, mais seulement pour quelques-uns et au détriment du bien-être de populations entières ; ainsi, l'argent gagné grâce à la vente d'armes est de l'argent souillé du sang innocent. Il faut plus de courage pour renoncer aux profits faciles afin de préserver la paix que pour vendre des armes de plus en plus sophistiquées et puissantes. Il faut plus de courage pour rechercher la paix que pour faire la guerre, pour favoriser la rencontre plutôt que la confrontation, pour s'asseoir à la table des négociations plutôt que de poursuivre les hostilités ».
Qu’est-ce qu’il faut faire alors ? « Pour construire la paix, nous devons sortir de la logique de la légitimité de la guerre : si elle pouvait être valable dans le passé, lorsque les conflits armés avaient une portée plus limitée, aujourd'hui, avec les armes nucléaires et de destruction massive, le champ de bataille est pratiquement illimité et les effets potentiellement catastrophiques. Il est temps de dire sérieusement ‘non’ à la guerre, d'affirmer que ce ne sont pas les guerres qui sont justes, mais que seule la paix est juste : une paix stable et durable, construite non sur l'équilibre précaire de la dissuasion, mais sur la fraternité qui nous unit. En effet, nous sommes en chemin sur la même terre, tous frères et sœurs, habitants de la même maison commune, et nous ne pouvons pas obscurcir le ciel sous lequel nous vivons avec les nuages des nationalismes. Où allons-nous finir si chacun ne pense qu'à lui-même ? C'est pourquoi ceux qui s'efforcent de construire la paix doivent promouvoir la fraternité. C'est un travail artisanal qui demande passion et patience, expérience et vision, ténacité et dévouement, dialogue et diplomatie. Et écoute : l'écoute du cri de ceux qui souffrent à cause des conflits, en particulier des enfants. Leurs yeux baignés de larmes nous jugent ; l'avenir que nous leur préparons sera le tribunal de nos choix présents ».
C’est l’éternel dilemme qui revient, car « La paix est possible, si elle est vraiment désirée ! Elle devrait trouver dans le Conseil de sécurité ses caractéristiques fondamentales, que la conception erronée de la paix fait facilement oublier : la paix doit être rationnelle, pas passionnelle, magnanime, pas égoïste ; la paix ne doit pas être inerte et passive, mais dynamique, active et progressive en fonction des justes exigences des droits déclarés et équitables de l'homme qui réclament de nouvelles et meilleures expressions ; la paix ne doit pas être faible, inefficace et servile, mais forte à la fois pour les raisons morales qui la justifient et pour le consensus unanime des pays qui doivent la soutenir ».
Sans le dire explicitement le Pape rappelle à l’ordre le Conseil de sécurité : « Il est encore temps d'écrire un nouveau chapitre de paix dans l'histoire : nous pouvons faire en sorte que la guerre appartienne au passé et non à l'avenir. Les discussions au sein du Conseil de sécurité servent à cela et doivent être ordonnées en conséquence. Je voudrais souligner une fois de plus un mot que j'aime répéter car je le considère déterminant : la fraternité. Elle ne peut pas rester une idée abstraite, elle doit devenir un point de départ concret : en effet, elle est une dimension essentielle de l'homme, qui est un être relationnel. La conscience vive de cette rationalité nous pousse à voir et à traiter chaque personne comme une véritable sœur et un véritable frère ; sans elle, il est impossible de construire une société juste, une paix solide et durable.
Après avoir assuré de sa prière le Pape conclut : « Je souhaite sincèrement que non seulement le Conseil de sécurité, mais toute l'Organisation des Nations unies, tous ses Etats-membres et chacun de ses fonctionnaires, puissent rendre un service concret à l'humanité, en assumant la responsabilité de préserver non seulement leur propre avenir, mais celui de tous, avec l'audace de renouveler maintenant, sans peur, ce qui est nécessaire pour promouvoir la fraternité et la paix de toute la planète. Heureux les artisans de paix ».
Voir, Discours du Pape François au Conseil de Sécurité des Nations Unies
Photo. Le Conseil de sécurité de l'ONU, à New York | © United Nations Photos/Flickr/CC BY-NC-ND 2.
Voir aussi : Le pape s’agace d’un Conseil de Sécurité «impuissant et paralysé» Et aussi : Le Pape dénonce une «famine de fraternité» et appelle à dire «non» à la guerre - Vatican News
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