Justice, Paix, Intégrité<br /> de la Création
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Pour qu'une urticaire guérisse, il faut cesser de la gratter

Butembo 10.12.2023 Jpic-jp.org Traduit par: Jpic-jp.org

« Au début du siècle, alors que les puissances européennes se partagent l'Afrique, le roi Léopold II de Belgique se livre à un pillage brutal du territoire entourant le fleuve Congo. Tout en réduisant la population de la région de dix millions d'habitants, il réussit à cultiver astucieusement sa réputation de grand humaniste. Une histoire bien plus riche qu'aucun romancier ne pourrait l'inventer, ‘King Leopold’s Ghost’ (Le fantôme du roi Léopold) est le récit horrifiant d'un mégalomane aux proportions monstrueuses ».

Le livre King Leopold's Ghost, d'Adam Hochschild, est un ouvrage relatant à travers ses plus de 360 pages « Une histoire de cupidité, de terreur et d'héroïsme dans l'Afrique coloniale ». En fait, « c'est aussi le portrait profondément émouvant de ceux qui ont défié Léopold : les chefs rebelles africains qui se sont battus contre des causes désespérées et une poignée courageuse de missionnaires, de voyageurs et de jeunes idéalistes qui sont allés en Afrique pour le travail ou l'aventure, mais qui se sont retrouvés de manière inattendue témoins d'un holocauste et participants au premier grand mouvement de défense des droits de l'homme du vingtième siècle ».

Toutefois, ce livre soulève également une question de fond : Les blessures de cette époque se sont-elles refermées ou sont-elles toujours la porte grande ouverte à la cruauté, aux injustices, aux troubles sociaux et politiques et aux mensonges d’aujourd’hui ?

Un extrait - pages 129-131 du King Leopold's Ghost - suggère que l'hypocrisie, les mensonges et la cruauté ont pavé la voie de la RDC depuis son indépendance et que l'histoire ne les a pas encore cicatrisés.  

                                                           ***

« Alors que Léopold publiait avec grandiloquence des édits interdisant la traite des esclaves, pratiquement aucun visiteur, à l'exception de George Washington Williams, ne se rendait compte de l'évidence : non seulement les porteurs, mais même les soldats de la Force Publique [l'armée officielle de l'État du Congo] étaient, en fait, des esclaves. En outre, selon un système personnellement approuvé par le roi, les agents blancs de l'État recevaient une prime en fonction du nombre d'hommes qu'ils remettaient à la Force Publique. Parfois, les agents amenaient des hommes grâce à la collaboration des chefs coutumiers qui leur livraient enchaînés leurs biens humains. Dans une transaction, consignée dans les notes d'un commissaire de district, vingt-cinq francs par personne était le prix reçu pour une demi-douzaine d'adolescents livrés par deux chefs de Bongata, en 1892. Les fonctionnaires de l'État du Congo recevaient une prime supplémentaire en cas de ‘réduction des frais de recrutement’, une invitation à peine voilée à économiser l'argent de l'État en kidnappant directement ces hommes au lieu de payer les chefs pour le travail.

« Cependant, le système esclavagiste est toujours agrémenté d'euphémismes, utilisés même par les officiers sur le terrain. ‘Deux bateaux viennent d'arriver avec le sergent Lens et 23 volontaires d'Engwettra enchaînés ; deux hommes se sont noyés en essayant de s'échapper’, écrit un officier, Luis Rousseau, dans son rapport mensuel d'octobre 1892. En effet, les trois quarts de ces ‘volontaires’ meurent avant même d'avoir pu être acheminés vers les postes de la Force publique, écrit la même année un haut fonctionnaire inquiet. Pour remédier à ce ‘gaspillage’, il préconise notamment un transport plus rapide et des chaînes en acier léger au lieu des lourdes chaînes en fer. Des documents de l'époque montrent à plusieurs reprises que des fonctionnaires de l'État congolais ont commandé des chaînes supplémentaires. Un officier a noté le problème des files de conscrits traversant les ponts longs et étroits des rivières dans la jungle : lorsque ‘des affranchis enchaînés les uns aux autres au cou traversent un pont, si l'un d'entre eux tombe, il entraîne toute la file qui disparaît [dans l’eau]’.

« Les officiers blancs qui négociaient avec les chefs de village pour obtenir des soldats et des porteurs ‘volontaires’ traitaient parfois avec les mêmes sources que celles qui approvisionnaient les négriers afro-arabes de la côte orientale. Le plus puissant de ces esclavagistes basés à Zanzibar était Hamed bin Muhammad el Murjebi, connu sous le nom de Tippu Tip. Son surnom viendrait du son du principal instrument des esclavagistes, le mousquet.

« Tippu Tip était un homme astucieux et plein de ressources qui avait fait sa fortune grâce à l'ivoire et aux esclaves. Il a pu développer ses activités de manière spectaculaire grâce à la route découverte par Stanley qui menant au cours supérieur du fleuve Congo. Léopold savait que le pouvoir et le sens de l'administration de Tippu Tip avaient fait de lui presque le dirigeant de facto du Congo oriental. En 1887, le roi lui demanda de devenir gouverneur de la province orientale de la colonie, dont la capitale se trouvait à Stanley Falls, et Tippu Tip accepta ; plusieurs membres de sa famille occupèrent des postes sous son autorité. À ce stade précoce, alors que les forces militaires de Léopold étaient trop éparpillées, l’accord offrait des avantages aux deux hommes. [...]. Bien que Léopold eût réussi, pendant une grande partie de sa vie, à être tout ce qu'il y a de mieux pour tout le monde, le spectacle de ce croisé de l’anti esclavage faisant autant d'affaires avec le plus important marchand d'esclaves d'Afrique contribua à susciter les premiers murmures contre le roi en Europe.

« Les deux hommes finirent par se séparer. D'ambitieux fonctionnaires blancs de l'est du Congo, sans l'approbation de leurs supérieurs à Bruxelles, ont alors mené plusieurs batailles victorieuses contre certains seigneurs de guerre afro-arabes de la région, combats qui, après coup, ont été transformés en une noble campagne contre les ignobles ‘arabes’ trafiquants d'esclaves.

« La littérature héroïque coloniale leur a conféré une place centrale dans la mythologie officielle de l'époque, dont les échos se font encore entendre aujourd'hui en Belgique. Cependant, au fil des ans, ces forces militaires du Royaume ont versé bien plus de sang en combattant d'innombrables soulèvements d'Africains, y compris des rebelles issus de leurs propres rangs. En outre, dès que cette hypocrite campagne contre les esclaves prit fin, Léopold remit en place en tant que fonctionnaires de l'État un grand nombre de forces militaire ».

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Un proverbe Nande du Congo dit que « la vie peut être comprise en regardant en arrière mais qu’on la vit tournés vers le futur ». Bien sûr, mais un proverbe Sukuma de Tanzanie avertit : « Pour qu'une urticaire guérisse, il faut cesser de la gratter ».

Au lieu de cela, depuis cette époque jusqu'à aujourd'hui, la RDC a été grattée et s'est grattée sans intermittence et de plusieurs manières : de l'assassinat honteux de Lumumba, en passant par l'horrible révolution de Simba et l’interminable dictature de Mobutu Seseseko, la mal-gouvernance sans fin de Kabila père, Kabila fils et récemment un‘cercle politique sacré’ a inondé le vide politique du Pays jusqu’à la dernière élection présidentielle.

« La colère dans l'esprit, le sourire sur les dents » (Proverbe Igbo du Nigeria), semble être l'attitude politique du peuple congolais. Cependant, si elles ne sont pas guéries, ces vieilles blessures peuvent finir pour rendre folle toute une population et, malheureusement, « la maladie peut être soignée, mais pas la folie ».

Photo. Punch, 1905 : Une des nombreuses caricatures où Léopold compare ses notes avec le sultan de Turquie, également condamné pour ses massacres (d'Arméniens).

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