Politiquement, les Nations Unies ont été largement décrites comme un échec monumental, avec peu ou pas de capacité dans la résolution de certains des conflits militaires et des guerres civiles passées et en cours dans le monde, y compris la Palestine, le Sahara occidental, le Cachemire et plus récemment, l'Ukraine, le Yémen, l'Afghanistan, la Syrie, le Soudan et le Myanmar, parmi d'autres.
Pourtant, pour rendre au diable ce qui lui est dû, l'ONU a rendu des services remarquables en fournissant de la nourriture, des abris et des soins médicaux à des millions de personnes prises dans les conflits militaires, notamment en Ukraine, au Soudan, en Syrie, en Libye et en Somalie. L'ONU s'est-elle donc progressivement transformée en une organisation d'aide humanitaire, des diplomates sans frontières ? Dans quelle mesure ces caractérisations sont-elles justes ?
Pendant la réunion de l'Assemblée générale de l’ONU qui a débuté le 18 septembre, certains dirigeants politiques du monde, quatre des cinq membres permanents (P5) du Conseil de sécurité, étaient portés « disparus » : le Premier ministre britannique Rushi Sunak, le président français Emmanuel Macron, le président russe Vladimir Poutine et le président chinois Xi Jinping. Le seul membre du P5 présent était le président américain Joe Biden. Narendra Modi, le Premier ministre de l’Inde, un pays décrit comme l'une des puissances politiques et économiques montantes du monde, désireux de diriger le Sud global, était également absent. Y a-t-il là un message caché pour l’ONU ? L'ONU commence-t-elle à ne plus être utile sur le plan politique ?
Interrogé sur l'absence de quatre membres du P5, le secrétaire général Antonio Guterres n'a pas mâché ses mots : « Je ne pense pas que ce soit parce que nous avons ou que nous n'avons pas le dirigeant d'un pays que la semaine de l’Assemblée Générale est plus ou moins pertinente. Ce qui est important, ce sont les engagements que les gouvernements sont prêts à prendre par rapport aux objectifs du développement durable et à de nombreux autres sujets de cette semaine. Il ne s'agit pas d'une foire à la vanité... Ce qui compte, ce n'est pas la présence de tel ou tel dirigeant. Ce qui compte, c'est l'engagement des gouvernements respectifs à l'égard des objectifs du sommet ».
Entre-temps, la réforme de l’ONU - y compris la revitalisation de l'Assemblée générale, l'augmentation du nombre de membres permanents du Conseil de sécurité et le manque d'autonomisation des femmes aux échelons les plus élevés de la hiérarchie de l'ONU, avec neuf secrétaires généraux exclusivement masculins et seulement quatre femmes sur les 78 présidents de l'Assemblée générale - a été mise sur la table pendant des décennies, sans que ces questions ne soient jamais abordées. Le seront-elles un jour ?
Dans un entretien, Natalie Samarasinghe, directrice mondiale du plaidoyer à l'Open Society Foundations, a déclaré que le changement était un défi pour l'ONU. L'organisation est fondée sur l'équilibre entre les principes et la politique et les premiers ne prévalent que lorsqu'ils peuvent être alignés sur la seconde. L’ONU a soutenu la lutte contre le colonialisme et l'apartheid, a aidé les marginalisés à faire avancer leur cause par le biais du développement et des droits de l'homme. En même temps, elle a contribué à maintenir les structures de pouvoir de 1945. Cela se reflète dans les priorités, les programmes et le personnel de l'ONU. Cette formule est aujourd'hui fragilisée, l'ONU semblant désormais périphérique dans le domaine de la paix et de la sécurité et dans l'effort de coordonner les réponses mondiales aux chocs de ces dernières années.
Cela ne signifie pas que l'organisation ne peut pas changer. De fait, l'ONU d'aujourd'hui serait méconnaissable pour ses fondateurs : elle est fortement axée sur le développement durable, compte près de quatre fois plus d'États membres et dispose d'organes consacrés à presque toutes les dimensions de l'activité humaine. La Charte des Nations unies ne mentionne pas les emblématiques casques bleus ni l'UNICEF - peut-être la « marque » la plus connue de l'organisation -, pas plus qu'elle ne fait allusion au rôle du secrétaire général en tant que plus haut diplomate du monde. Le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat et GAVI, l'alliance multipartite pour les vaccins - inconcevable il y a sept décennies - sont d'autres exemples de la capacité de l'ONU à s'adapter aux nouvelles réalités. Mais, d'autres aspects de l'organisation semblent figés dans le temps, en particulier le Conseil de Sécurité. Alors, le changement est-il possible ?
Il est déprimant de constater que la perspective d'une femme secrétaire générale semble encore lointaine, que seulement quatre des 78 présidents de l'Assemblée générale ont été des femmes. Cela ne devrait pas être notre plafond de la réforme, mais notre plancher de départ. Nous disposons d'une rotation régionale pour les postes. Pourquoi pas une rotation entre les hommes et les femmes ? Il s'agit là d'un changement aussi réalisable que nécessaire.
Le Conseil de sécurité, quant à lui, est probablement le domaine le moins susceptible d'évoluer. Mais son blocage - sur le fond et sur la forme - a renforcé l'intérêt de l'Assemblée générale pour faire contrepoids à ce club exclusif. L'Assemblée, qui est ce qui se rapproche le plus d'un parlement mondial, a gagné en importance à mesure que les pays à faible revenu se sentent de plus en plus frustrés de devoir supporter le poids des chocs mondiaux sans avoir véritablement leur mot à dire sur les solutions à apporter.
Cette évolution s'inscrit dans une tendance plus large. À l'ONU, elle englobe les améliorations apportées au processus de sélection du secrétaire général en 2016, le succès du Liechtenstein qui a fait en sorte qu'un veto du Conseil déclenche automatiquement un débat à l'Assemblée, et le mécanisme d'enquête sur la Syrie. Mais la véritable action se déroulera probablement en dehors de New York.
Des dirigeants comme Biden et Macron semblent avoir pris à leur compte les appels à réformer l'architecture financière internationale. Le G20 de New Delhi a repris les termes de l'initiative de Bridgetown et de l'agenda du V20 sur des questions telles que la dette et l'accès aux capitaux. Tout cela montre que nous avons peut-être enfin atteint le point où les pays plus petits et plus vulnérables ne peuvent plus tolérer le statu quo et où les pays plus grands et plus riches réalisent que l'interdépendance n'est pas qu'un simple concept.
Natalie Samarasinghe, qui a été PDG de l'Association de l’ONU au Royaume-Uni, a été aussi la première femme à occuper ce poste ; elle a été rédactrice des discours pour le 73e président de l'Assemblée générale et chef de la stratégie pour l'initiative du 75e anniversaire de l’ONU. Elle a édité des publications sur le développement durable, le changement climatique et les conflits, et écrit sur les droits de l'homme. Elle a également soutenu un certain nombre de coalitions de la société civile visant à améliorer le processus de sélection du Secrétaire général. Elle souligne les nombreux problèmes auxquels l’ONU doit faire face en répondant à quelques questions.
Q : Lors d'une conférence de presse, Barbara Woodward, ambassadrice du Royaume-Uni auprès de l’ONU, a parlé de l'ambition de son Pays « de faire avancer la réforme du système multilatéral », en déclarant : « Nous voulons que le nombre des sièges permanents du Conseil soient élargis à l'Inde, au Brésil, à l'Allemagne, au Japon et à la représentation africaine ». Même si cette proposition est adoptée par l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité, elle nécessite un amendement à la Charte des Nations unies. A quel point le processus de modification de la Charte est-il ardu et long ?
Natalie Samarasinghe. Même en 1945, la composition du Conseil de sécurité était un compromis, avec des membres permanents et des vetos destinés à encourager les cinq puissances de l'époque à servir de gardiens de l'ordre international. Cette illusion a volé en éclats avant même que l'encre de la Charte n'ait séché, la guerre froide ayant mis fin à la lune de miel dans l'organisation.
Aujourd'hui, notre monde multipolaire et polarisé est mieux décrit comme un véritable chaos. Des conflits de longue date, tels qu’en Palestine et au Cachemire, restent insolubles, tandis que les crises s'accumulent : Afghanistan, Éthiopie, Haïti, Myanmar, Soudan, Syrie, Ukraine.
Certains affirment que l'agression de la Russie n'est pas la première perpétrée par un des cinq membres permanents (P5). D'autres parlent une vision réductrice du rôle du Conseil : prévenir les conflits entre les P5 plutôt que maintenir la paix et la sécurité dans le monde. Mais après 18 mois de guerre, il est difficile de ne pas voir dans cette guerre l'emblème des échecs et des contraintes de l'ONU.
Même les domaines dans lesquels l’ONU a auparavant enregistré des succès sont en perte de vitesse. Lorsqu'on leur demande de citer des opérations de paix réussies, la plupart des gens reviennent vingt ans en arrière, au Liberia ou à la Sierra Leone. Jusqu'à son effondrement, l'accord sur les céréales de la mer Noire était un rare exemple de médiation réussie. Invariablement, les débats sur la manière de renforcer la capacité de l’ONU en matière de paix et de sécurité se concentrent sur le Conseil de sécurité. Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, certains États, dont les États-Unis, ont davantage insisté sur la nécessité d'un changement. Pourtant, ce regain d'intérêt n'a pas rendu la réforme plus probable.
D'un point de vue procédural, la réforme nécessite une modification de la Charte. Cette modification doit être approuvée par les deux tiers des membres de l'Assemblée générale et ratifiée par les assemblées législatives des pays, y compris celles de tous les pays du P5. Cela ne s'est produit qu'une seule fois en ce qui concerne le Conseil (en 1965, lorsque le nombre de membres adjoints est passé de 11 à 15 et que le seuil de vote a été relevé en conséquence).
Sur le plan politique, l'un des principaux obstacles est l'absence d'accord au sein des régions sur l'attribution des sièges. La réforme du Conseil est un objectif qui mérite d'être poursuivi et mérite plus de créativité, sur le rôle des organisations régionales, par exemple. Mais il serait peut-être préférable de canaliser cette énergie sur la manière d'exploiter le pouvoir du système ONU dans son ensemble.
Des sanctions aux enquêtes, l'Assemblée générale pourrait faire beaucoup plus en matière de paix et de sécurité. La Commission de consolidation de la paix pourrait elle aussi jouer un rôle plus central, par exemple en faisant appel à des acteurs tels que les institutions financières internationales. Enfin, il convient d'examiner comment la médiation pourrait être effectuée différemment, avec davantage de ressources et un groupe de négociateurs plus diversifié.
Q : Les organisations de la société civile (OSC) ont joué un rôle important dans le mandat de l’ONU, qui est de garantir la paix et la sécurité internationales, de protéger les droits de l'homme et de fournir une aide humanitaire. L'ONU a-t-elle donné aux OSC la place qui leur revenait ?
Natalie Samarasinghe. Plus de 200 OSC ont participé à la naissance de l'ONU. Leur présence a contribué à ce que la Charte fasse référence aux droits de l'homme, à l'égalité des sexes et à la justice sociale. Soixante-dix-huit ans plus tard, des milliers d’OSC sont venues à New York pour l'ouverture de l'Assemblée générale. Un nombre encore plus important d’entre elles travaillent chaque jour avec l’ONU, dont les activités de développement et d'aide humanitaire se sont multipliées. Ces domaines, en effet, représentent aujourd'hui plus de 70 % de ses fonds et environ deux tiers de son personnel.
Mais de nombreuses OSC s'engagent en marge des activités de l’ONU. Seule une partie d'entre elles est autorisée à entrer au siège de l'ONU, tandis que celles qui sont sur le terrain se heurtent souvent à des obstacles considérables à la coopération. Malgré tous les discours sur les partenariats, la situation est similaire pour d'autres acteurs, qu'il s'agisse des gouvernements locaux ou des entreprises.
C'est ignorer que la transformation la plus profonde de la « communauté internationale » au cours des dernières décennies n'a peut-être pas été le réalignement géopolitique, mais la montée en puissance des acteurs non étatiques. Nous vivons dans un monde où les profits du secteur privé éclipsent les PIB (produit intérieur brut), où les mouvements sociaux peuvent mobiliser des millions de personnes, où les influenceurs peuvent en effacer des milliards avec un seul message et où une jeune fille assise devant son école avec une pancarte peut changer la conversation mondiale. Et pourtant, le système international reste obstinément centré sur les États.
Au contraire, les partenariats devraient être la norme. Les OSC sont essentielles à la réalisation des ODD et à la lutte contre le changement climatique. Elles fournissent une assistance essentielle lors des crises humanitaires et s'interposent dans les zones de conflit. Elles défendent ceux qui sont ignorés et maltraités, et sont à la fois les partenaires et la conscience des Nations unies.
Leurs contributions devraient être valorisées et exploitées, grâce à un représentant de haut niveau de la société civile, à des ressources plus importantes pour les groupes de base et à une stratégie globale d'engagement. Étant donné que les préoccupations relatives à la légitimité et au pouvoir s'intensifient, cette stratégie devrait inclure un transfert progressif des fonctions de développement et d'aide humanitaire de l’ONU aux partenaires locaux. Cela favoriserait un plus grand sentiment d'appropriation, d'engagement et de responsabilité. Cela pourrait également donner un nouveau souffle aux objectifs du Millénaire pour le développement.
Du point de vue de l'ONU, cela permettrait d'atténuer la croissance insoutenable de sa charge de travail, de se libérer des tâches aux ressources limitées et d'atténuer l'incompatibilité sur le terrain des diverses fonctions qu'elle est censée remplir : politiques, humanitaires, du développement et des droits de l'homme.
Une telle démarche est susceptible de rencontrer une résistance considérable, y compris à l'intérieur de l’ONU. Il est plus facile de citer le nombre d'écoles construites ou de réfugiés secourus comme preuve de réussite, surtout lorsque les tensions géopolitiques rendent plus difficiles les avancées dans des domaines tels que l'établissement de normes et la médiation. Mais c'est précisément dans ces domaines que l’ONU est le plus nécessaire : des fonctions qui ne peuvent pas être remplies par d'autres. Même avec des organisations régionales à disposition. Le G20 n'est pas le G193 et l’ONU est d’une façon unique bien placée pour faire la différence : de la coordination d'urgence à la solidarité mondiale. Tel devrait être l'esprit qui présidera au Sommet de l'Avenir de l'année prochaine : une liste de tâches réalistes pour l’ONU, une plus grande responsabilité pour les partenaires et une plus grande ambition pour les peuples du monde.
Voir, UN, Still Living in the 1940s, Urgently in Need of Reforms | Inter Press Service (ipsnews.net)
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