Appels, lettres des Missionnaires, protestes et dénonciations, depuis le Forum Social Mondial de Dakar en 2011 se sont multipliés, mais ce phénomène continue tranquillement. Ne sera-t-il qu’on s’est trompé de stratégie ?
Le 11 février 2011, dans une assemblée de convergence, organisations paysannes, ONGs, syndicats et d’autres mouvements sociaux réunis à Dakar pour le Forum Social Mondial, lançaient un Appel contre les accaparements de terres : « Les récents accaparements massifs au profit d’intérêts privés ou d’Etats tiers, ciblant des dizaines de millions d’hectares, portent atteinte aux droits humains en privant les communautés locales, indigènes, paysannes, pastorale, et de pêcherie artisanale de leurs moyens de production, en restreignant leur accès aux ressources naturelles ou en leur ôtant leur liberté de produire ».
Des missionnaires, réunis dans leurs mini Forum Sociaux joignaient ce cris au nom de leur foi : « Nous allons continuer à faire en sorte que l’Afrique ne souffre pas d’un autre génocide en raison de l'accaparement des terres », décidaient par exemples les Missionnaires Comboniens.
L'accaparement des terres arables est en effet une des principales menaces qui pèsent actuellement sur la souveraineté alimentaire de plusieurs pays, surtout en Afrique, et est devenu aussi une question centrale pour l’avenir.
Avec la hausse des prix agricoles, on assiste à une véritable ruée sur les terres. « Les acheteurs sont aussi bien des entreprises, comme Daewoo à Madagascar, que des Etats importateurs qui achètent des terres dont les cultures sont destinées à l’exportation d’aliments ou d’agro-carburants », affirme Ambroise Mazal dans un entretien publié en Alternatives Economiques. « S’y sont greffés, depuis la crise financière, divers spéculateurs. On parle ici d’achats ou de locations à long terme de dizaines de millions d’hectares. D’après la Banque mondiale, on est passé de 4 millions d’hectares cédés par an en moyenne au cours de la dernière décennie, à 45 millions en 2009 : le phénomène a plus que décuplé ! ».
Ces cessions à grande échelle ont lieu dans des pays pauvres ou en voie de développement, où existe une fragilité des droits de propriété, où la gestion des terres est fondée sur des règles informelles et traditionnelles, reconnues localement, mais non pas par des accords internationaux, où donc les droits fonciers ne sont pas assurés, ce qui fait que le petit paysan ne peut prouver d’être le propriétaire du terrain qu’il cultive et qu’il possède depuis des générations.
L’utilisation de ces terres par des entités étrangère est mortelle pour les besoins des populations locales avec qui elles entrent en concurrence. « Au Mali, sur les terres fertiles le long du fleuve Niger –cite comme exemple Ambroise Mazal-, des acheteurs de terres libyens ont déplacé des populations, ont bouleversé des cimetières pour mettre en place leurs projets agricoles. Et les populations locales s’en rendent compte quand il est trop tard ».
L’investissement dans l'agriculture est essentiel pour qu’un pays acquiert son autonomie alimentaire ; mais cela doit viser le bien être des populations locales, en misant sur l’agriculture vivrière et l’agro-écologie et non les intérêts de compagnies multinationales ou même de certains secteurs étatiques : le droit à l'usage de la terre est naturel et primordial, et c’est une valeur universelle de chaque être humain sur laquelle ne peut prévaloir aucun autre droit économique.
Pire encore s’il y a en jeu l’élimination d’entières communautés humaines. « L'investissement étranger n’est pas automatiquement source de développement et il peut déstabiliser les systèmes socio-économiques locaux », conclut Ambroise Mazal.
Comment combattre ce phénomène, alors ?
La société civile au dernier Forum Social Mondial de Dakar, dans son Appel a donné des indications : « Nous en appelons aux parlements et aux gouvernements nationaux pour que cessent immédiatement tous les accaparements fonciers massifs en cours ou à venir et que soient restituées les terres spoliées. Nous ordonnons aux gouvernements d’arrêter d’oppresser et de criminaliser les mouvements de luttes pour les terres et de libérer les militants illégitimement emprisonnés. Nous exigeons des gouvernements nationaux qu’ils mettent en place un cadre effectif de reconnaissance et de régulation des droits fonciers des usagers à travers une consultation de toutes les parties prenantes et en préalable à toute cession massive des terres. Cela requiert de mettre fin à la corruption et au clientélisme, qui invalident toute tentative de gestion foncière partagée ».
Le mentionné Ambroise Mazal, chargé de mission au CCFD-Terre solidaire dans son entretien d’Alternatives Economiques n° 300 - mars 2011 s’exprime sur le même ton : « Nous demandons aux gouvernements l’arrêt immédiat de ces cessions de terres à des acteurs souvent étrangers. Les Etats du Sud doivent prendre en compte leurs populations, tourner le dos au mirage des investissements étrangers accueillis sans contrepartie, que ce soit en termes de répartition des richesses produites ou de respect des populations locales ».
Mais, enfin, quels résultats a produit tout cela ? Rien, il faut l’avouer : le phénomène continue, tout le monde continue à crier gare, les proclames se multiplient et les études aussi parce que « Cette bataille au niveau des idées se décline aussi en bataille diplomatique, dans laquelle les Etats du Sud, main dans la main avec les multinationales du Nord, sont hélas bien souvent opposés à toute réglementation », affirme Ambroise Mazal. Et alors ?
Il avait raison l’Appel de Dakar d’exiger aux Unions Régionales d’États, à la FAO, aux institutions nationales et internationales qu’elles mettent en pratique ce qui avait été décidé dans la Conférence Internationale pour la Réforme Agraire et le Développement Rural (CIRADR) de 2006, à savoir : la sécurisation des droits fonciers des usagers, la relance des processus de réformes agraires basés sur un accès équitable aux ressources naturelles et le développement rural pour le bien-être de tous. Et aussi de réclamer que les Directives de la FAO à ce sujet soient renforcées.
Mais pour que ces organismes agissent de la sorte, il faut une stratégie et qu’elle soit coordonnée entre la Société Civile –ONGs en tête- présente dans les organismes internationaux –ONU, FAO, Parlement Européen, AU- et organisations de base travaillant sur le terrain. Sinon, on arrivera au prochain Forum Social Mondial de Tunis avec le même problème empiré, avec les mêmes cris de proteste plus aigues, avec le même sentiment de frustration et les mêmes résultats, vides et inutiles.
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