Justice, Paix, Intégrité<br /> de la Création
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Charlie Hebdo, la dérision du divin et la maladie spirituelle de l'homme moderne

La Stampa 24.11.2024 Vito Mancuso Traduit par: Jpic-jp.org

Le rire a une valeur libératrice et bienfaisante, mais il peut aussi être lié à l'agressivité, à la violence, voire à l'intimidation. Se moquer de Dieu est le fruit du désespoir de ceux qui ont perdu la possibilité d'expérimenter le sens du mystère.

Si l'on veut considérer la question du concours satirique sur Dieu annoncé par Charlie Hebdo d'un point de vue philosophique, il faut dire que deux concepts sont en jeu : notre rire et notre rapport avec le divin (pas nécessairement avec le Dieu unique des monothéismes, mais avec le divin, c'est-à-dire le grand mystère que l'être humain a toujours ressenti à l'égard de son existence sur cette planète).

Je commence par le rire, dont je reprends la définition de Dante dans le Convivio qui en parle ainsi : « Le rire est une coruscation des délices de l'âme ». Qu'entend-il par « coruscation » ? Dans le texte cité, Dante parle de « manifestation », mais il ne faut pas oublier que pour exprimer le type de manifestation, il a choisi d'en parler précisément comme d'une « coruscation ».

Dans l'italien d'aujourd'hui, nous disons « corrugamento » - « corrugation », un terme qui se réfère à se corruguer, c'est-à-dire à la formation d'une ride, d'un pli indésirable : qui apparaît surtout sur le front et donc, au lieu du plaisir, indique la douleur, parce que le plaisir manifesté par le rire opère à l'inverse, c'est-à-dire qu'il ouvre et étire le front, en supprimant momentanément toute ride. Quelle leçon tirer de la définition du rire du poète suprême italien ? Qu'il existe un plaisir, une « volupté de l'âme », que le rire peut en quelque sorte exagérer, exaspérer, forcer jusqu'à produire des rides.

Comme s'il s'agissait d'une douleur. Ce qui signifie que le rire, contrairement à la croyance de la culture dominante qui en fait un absolu, un véritable acte de culte (aujourd'hui, c'est en faisant rire que l'on conquiert l'être humain), peut aussi manifester des significations négatives du point de vue du bien-être global de l'être humain. On peut le comprendre à partir des dérivés du verbe principal, que j'énumère ici : « se moquer, se gausser, sourire ».

« Sourire » est le plus beau car il renvoie à l'humour subtil, d'où naît la bonne humeur. D'ailleurs, beaucoup de gens soulignent à juste titre le caractère bénéfique du rire. Des sites (dont certains sont liés à des cabinets dentaires) énumèrent en détail les bienfaits du rire, parmi lesquels, par exemple, l'amélioration du tonus musculaire et de la respiration, la réduction du cholestérol, la relaxation, la purification, la réduction du stress et les propriétés antidépressives. Ils écrivent que « le rire est la meilleure thérapie pour la santé mentale et physique ». Une discipline particulière appelée « gélotologie », néologisme qui signifie « science du rire » (où « gel » n'a rien à voir avec la météo mais vient du verbe grec pour rire « gelao »), a également été créée. La gélotologie vise à démontrer scientifiquement les effets calmants, analgésiques, euphorisants et immunostimulants du rire. Ces effets existent sans aucun doute, nous en faisons tous l'expérience, le plus souvent possible, je l'espère.

Deux choses doivent cependant être dites. La première consiste à souligner que la qualité bénéfique du rire n'est pas absolue, mais dépend de la manière dont on rit et de la raison pour laquelle on rit. Se moquer ou railler représentent une manière de rire qui n'a rien d'apaisant : non seulement parce qu'elle vise toujours quelqu'un qui, comme une vraie victime, est ridiculisé en déversant sur elle mépris, rancœur, lividité, mais aussi parce que ces émotions négatives s'installent inévitablement dans le psychisme de celui ou celle dont on se moque, finissant par le/la remplir de négativité. C'est ce qui se passe dans le sarcasme, dans le rire agressif qui équivaut à une insulte, voire à un coup de poing, et qui dénote souvent la vulgarité, la grossièreté, la virulence, l'agressivité.  

Se moquer et railler peut revenir à blesser, voire à tuer psychiquement. Le bullying et le mobbing – ou harcèlement moral scolaire et au travail - commencent précisément comme cela, comme une moquerie : moquerie d'un individu par un groupe, où l'individu est transformé en véritable bouc émissaire sur lequel le groupe déverse toute sa mordacité, ce qui l'amène, selon l'expression consacrée, à mordre impitoyablement dans le psychisme de la malheureuse victime à force de moquerie. On est bien loin des effets antidouleur ! Les effets bénéfiques, que le rire en lui-même a sans aucun doute, peuvent dans certains cas être complètement inversés.

Il faut aussi considérer que parfois, même le contraire du rire, c'est-à-dire les pleurs, peuvent avoir une valeur positive car, dans certaines circonstances, les pleurs peuvent être beaucoup plus libérateurs et vitalisants que les rires. Ce n'est pas un hasard si, dans le théâtre de la Grèce antique, à côté de la comédie, il y avait, et en priorité, la tragédie.

J'en viens maintenant au deuxième concept, le divin.

Le divin découle de la conscience que nous sommes aux prises avec un excédent, avec un « plus » présenté par la réalité globale de l'existence par rapport à la capacité cognitive de notre raison. Comme le disait Norberto Bobbio dans ses « dernières volontés » publiées dans ce journal le 10 janvier 2004 : « Je ne me considère ni athée ni agnostique ; en tant qu'homme de raison et non de foi, je sais que je suis plongé dans le mystère ». C'est la raison, dûment exercée, qui renvoie l'être humain pensant à la dimension du mystère : le mystère du pourquoi de la vie, de son origine, de sa destination, de sa logique, de son sens global.  

La perception du divin émerge de là, de cette émotion de l'intelligence vécue par des esprits suprêmes comme Héraclite, Socrate, Platon, Aristote, Sénèque, Plotin, Marc Aurèle, toutes les grandes figures médiévales, Dante aussi, et parmi les modernes, je rappelle Pascal, Kant, Fichte, Schelling, Hegel, Kierkegaard et Rousseau. Sans ce « mystère », nous n'aurions pas la musique de Monteverdi, Bach, Vivaldi, Mozart, Beethoven. Nous n'aurions pas eu Giotto, Michel-Ange, Chagall. Et infiniment plus, y compris les cathédrales et les églises paroissiales de campagne qui parsèment notre magnifique vieux continent partout, y compris en France.

Que signifie donc se moquer du divin ? Je pense que l'on peut, et peut-être que l'on doit, se moquer des superstitieux et des dogmatiques qui, le plus souvent, font preuve d'une déconnexion cognitive entre l'esprit et la réalité. Mais je pense aussi que se moquer du divin en tant que tel est l'indice d'une maladie spirituelle : la méfiance et le désespoir de ceux qui ont perdu la possibilité d'éprouver le sens du mystère et qui considèrent le sens de leur existence uniquement comme un simulacre grotesque du « gène égoïste » (pour reprendre l'expression bien connue de Richard Dawkins) et qui ne peuvent donc que rire amèrement de tout et, en particulier, se moquer sarcastiquement de ceux qui n'ont pas perdu leur lien avec ce que Heisenberg appelait « l'ordre central ». Je pense que s'appliquent le mieux à leur égard ces mots de Dante : « Non ragioniam di lor, ma guarda e passa », « Ne raisonnons pas sur eux, seulement regarder et passer outre »  

Voir, “Charlie Hebdo”, la derisione del divino e la malattia spirituale dell’uomo moderno

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