Lorsque Mugisha Jealousy Mulimba a appris que le gouvernement ougandais le traînait devant les tribunaux, il s'attendait à ce que justice soit faite. Mais il dit avoir réalisé alors que ces tribunaux étaient utilisés pour le priver de son droit à un procès équitable et de son droit à une compensation juste et adéquate pour ses terres et ses biens.
Mulimba affirme que tout juste quelques jours après que l'accusation du gouvernement contre lui et 41 autres agriculteurs et propriétaires terriens de la région Albertine (Ouganda) riche en pétrole ait été entendue en décembre 2023, le tribunal a rendu son verdict. L'argent de la compensation pour l'expropriation devrait être déposé auprès du tribunal et le gouvernement pourrait les expulser afin que TotalEnergies puisse aller de l'avant avec la construction de la raffinerie de pétrole et que les pipelines pour l'oléoduc de pétrole brut de l'Afrique de l'Est (EACOP) puissent être posés.
« C'est le procès le plus rapide que j'ai connu depuis mon enfance. Et d’autant plus qu'il s'agit d'une affaire où le gouvernement poursuit ses citoyens », déclare M. Mulimba. « Le juge Jesse Byaruhanga de la Haute Cour de Hoima nous a entendus et a statué contre nous en l'espace de quatre jours. Aujourd'hui, les propriétaires terriens attendent, sans savoir quand ils seront enfin expulsés ».
M. Mulimba et des centaines de personnes à la charge des 42 propriétaires terriens sont au bord de la clochardisation, car ils risquent d'être expulsés pour avoir refusé d'accepter une compensation injuste, indue et inadéquate de la part de TotalEnergies, qui acquiert leurs terres agricoles au nom du gouvernement.
La menace d'une expulsion forcée des propriétaires terriens existe depuis des années. Mais cette fois, elle semble imminente, le gouvernement s’étant muni d'un ordre d'expulsion et d'une décision selon laquelle le pétrole, découvert en 2006, doit être extrait avant 2025. « Malheureusement, nous, les agriculteurs et propriétaires de terres, sommes accablés depuis 2018. Et maintenant, avec leur ordre d'expulsion, ils peuvent faire n'importe quoi. Mais nous sommes déterminés à mourir pour nos droits », proclame Fred Balikenda.
Le gouvernement a demandé et obtenu un ordre spécifique pour expulser les Balikenda de leurs terres dans le village de Kirama : « Chacun d'entre nous traverse la période la plus difficile. On ne sait pas quand ils vont intervenir ni comment ils vont nous traiter ».
Le 4 décembre 2023, le bureau du procureur général de l'Ouganda a poursuivi 43 propriétaires terriens et a demandé au tribunal d'autoriser le gouvernement à déposer l'argent de l'indemnisation auprès du tribunal lui-même afin que TotalEnergies puisse rapidement prendre possession des terres pour le projet pétrolier et gazier de Tilenga. Le gouvernement obtient ainsi d’être dégagé de toute responsabilité et de toute réclamation pouvant découler de l'ordre d'expulsion.
La High Court a rendu cette ordonnance le 8 décembre 2023. Depuis 2020, TotalEnergies E&P tente d'acquérir, pour le compte du ministère ougandais de l'énergie, un terrain litigieux d'une superficie de 60 acres. Cette décision hâtive en faveur du gouvernement a surpris la communauté juridique. En Ouganda, les litiges fonciers restent des années devant les tribunaux sans être résolus.
« Tous les dossiers que nous avons déposés contre le gouvernement pourrissent dans les tribunaux. C'est ce même système judiciaire qui, en quatre jours, a examiné l'affaire que le gouvernement a déposée contre nous. Le diable s'est-il emparé de notre gouvernement ? Nous pleurons dans nos cœurs, nous demandant qui aidera des pauvres gens comme nous », a déclaré Kwonka William Mugisa, une autre des personnes affectées.
Un avocat spécialisé dans les droits de l'homme, Eron Kiiza, a publié une déclaration indiquant que le juge chargé de l'affaire avait violé les principes juridiques établis en rendant un verdict dans l'affaire foncière en l'espace de quatre jours, sans permettre aux intéressés de répondre ou de contester l'affaire. « Lorsqu'un juge, qui baigne dans l'impunité, refuse délibérément aux parties concernées dans une affaire la possibilité/le droit d'être entendues, de contredire les preuves, de présenter leurs arguments et rend des dispositions à la hâte au profit de TotalEnergies et au détriment des familles et des potagers des Ougandais, de leurs moyens de subsistance, de leur dignité et de leurs biens, il porte atteinte à l'État de droit, aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales », a déclaré M. Kiiza.
En janvier, M. Kiiza a tenté, avec d'autres avocats, de convaincre l'Uganda Law Society de boycotter les activités du système judiciaire pour protester contre la conduite et le traitement de cette affaire par le juge. Avec l'autorisation des agriculteurs concernés, M. Kiiza a fait appel contre la décision de la Cour d'appel pour obtenir que soient annulés l'ordre d'expulsion et l'autorisation à déposer l'argent de la compensation au tribunal.
La Cour d'appel n'ayant pas fixé de date pour l'audition de l'appel et craignant que le gouvernement ne poursuive l'expulsion, Mulimba et quatre autres agriculteurs se sont rendus à Kampala, la capitale, à la fin du mois de février, pour demander une audience avec le ministre des affaires constitutionnelles et les autres responsables du pouvoir judiciaire. Mulimba affirme qu'ils n'ont été autorisés à entrer dans aucun des bureaux.
Kwonka William a déclaré que, suivant le rapport d'évaluation du gouvernement, il a été contraint d'accepter l'équivalent d'environ neuf dollars pour sa terre et sa propriété. Et la secrétaire permanente du ministère de l'énergie, Irene Batebe, a déclaré sous serment que la compensation était basée sur des rapports d'évaluation approuvés avec une augmentation de 30 pour cent de la part du gouvernement.
Selon M. Mulimba et son épouse, Pityedi Mugisa, le gouvernement, par l'intermédiaire du tribunal, tente de les forcer à accepter une compensation injuste et dérisoire sous forme d'argent liquide : « La terre est pour la famille. Nous demandons des terres en échange. S'ils peuvent trouver des terres équivalentes, nous sommes prêts à partir. Mais nous ne voulons pas d'argent liquide ». Le couple a participé à des dizaines de réunions pour réclamer une indemnisation juste et adéquate, mais en vain.
« Nous avons travaillé cette terre pendant des années. Nous gagnons notre argent pour payer les frais de scolarité, la nourriture et les soins médicaux. Nous ne nous battons donc pas contre le gouvernement, mais pour que nos droits soient respectés », conclut-il.
Dickens Kamugisha, avocat et directeur exécutif de l'Institut africain pour la gouvernance énergétique (AFIEGO), explique que les agriculteurs propriétaires ont essayé de rencontrer des représentants du gouvernement pour s'assurer qu'il y ait équité et justice. « Au lieu de garantir une compensation juste et adéquate, le gouvernement a maintenant recours aux tribunaux. Sachant que ces personnes ne peuvent pas trouver de meilleurs avocats pour les représenter et qu'elles ne peuvent pas influencer les tribunaux. Le gouvernement dépose ces dossiers pour obtenir les jugements qu'il souhaite et expulser les gens », voilà son opinion.
Selon M. Kamugisha, AFIEGO a soutenu les personnes affectées par la raffinerie de pétrole en déposant une plainte contre le gouvernement ougandais pour des compensations faibles, inadéquates et injustes en mars 2014. « Dix ans plus tard, les audiences concernant cette affaire ne sont toujours pas terminées. C'est une injustice. Et lorsqu'il y a injustice, il ne peut y avoir de règlement issu de négociations ». De plus, a-t-il ajouté, aucune loi ne prévoit que le gouvernement puisse acquérir des terres et déposer l'indemnisation du propriétaire au tribunal.
« En 2021, le pouvoir judiciaire a illégalement autorisé le gouvernement à déposer l'indemnisation des ménages au tribunal. Cela a créé un précédent fâcheux qui ne devrait jamais se reproduire. Il est également regrettable que le gouvernement ait continué à utiliser et à abuser des tribunaux pour détruire le droit des citoyens à posséder des biens et/ou à obtenir une compensation adéquate », a déclaré M. Kamugisha.
Alors que les propriétaires attendent que la Cour d'appel examine leur recours, certains d'entre eux sont menacés par des agents de sécurité qui, selon eux, continuent de visiter leurs propriétés. « Cela se produit principalement ici, dans les villages de Kasinyi, Ngwedo Center et Kisimo, où la plupart d'entre nous vivent. Quelqu'un vient, gare une moto ou une voiture sur notre terrain et s'en va. N'est-ce pas de l'intimidation ? », interroge un autre propriétaire.
Selon Global Witness, l'enquête sous couverture qu'elle a menée en décembre 2023 a montré que les autorités de l'État avaient menacé et détenu plusieurs militants. « Dans certains cas, les autorités de l'Etat semblaient être en communication avec TotalEnergies avant que les représailles n'aient lieu », indique le rapport.
L'IPS a appris des employés de TotalEnergies et de l'EACOP que la compagnie pétrolière était opposée à l'idée d'expulsions forcées parce que cela ne correspondait pas à ses règles et qu'elle craignait une éventuelle publicité négative.
Il y a également des rapports selon lesquels TotalEnergies envisage d'engager une société indépendante pour enquêter sur les revendications des propriétaires fonciers. Cependant, selon M. Kamugisha, c'est TotalEnergies qui déplace les personnes. « Il est regrettable que Total dise qu'elle va faire venir un enquêteur indépendant. Comment cet enquêteur va-t-il être utile ? », demande-t-il.
Voir, “Vivir con miedo”: un un yacimiento petrolífero los desaloja de sus tierras en Uganda
Photo. Chantier de construction du projet de développement de Tilenga, exploité par TotalEnergies. Certains propriétaires terriens s'opposent à ce qu'ils considèrent comme des expulsions forcées sans compensation adéquate. © Wambi Michael / IPS
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