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Esclavage dans le monde musulman

GEO Histoire 20.01.2025 Boris Thiolay Traducido por: Jpic-jp.org

L’Europe n’a pas eu le monopole de la traite : entre le VIIe siècle et le début du XXe, les arabes et les ottomans ont mené des razzias en Afrique subsaharienne et en Europe afin d’alimenter en esclaves le monde musulman. L'histoire méconnue de millions d'esclaves à travers les siècles. Huit questions-réponses pour mesurer l’ampleur du phénomène

Dans quelle mesure la conquête arabo-musulmane s’appuie-t-elle sur l’esclavage ?

Peu après la mort du prophète Mohamed, en 632, les armées musulmanes entreprennent une conquête vers le nord, au-delà de la péninsule arabique. Leur progression est foudroyante. En 635, elles chassent l’armée byzantine de Syrie et de Palestine, prenant Damas, Homs et Jérusalem. Vers le nord-est, les conquérants arabes (quelques dizaines de milliers d’hommes) créent des villes de garnison, comme Koufa et Bassorah (dans l’Irak actuel), défont l’armée perse et provoquent l’effondrement de l’Empire sassanide en 637. À l’ouest, ils soumettent l’Égypte en 641, avant de poursuivre leur marche vers le Maghreb. « Dans ce contexte de guerre et d’expansion territoriale, les musulmans prennent en captivité, selon les usages de l’époque, des hommes, des femmes et des enfants pour les réduire en esclavage », explique l’historien M’hamed Oualdi, professeur à Sciences Po Paris et auteur de L’Esclavage dans les mondes musulmans (éd. Amsterdam, 2024). « Cette main-d’œuvre servile sera utilisée pour bâtir ou reconstruire des villes, ou pour servir les militaires musulmans et leurs familles ».

Le phénomène de traite prend corps en 652, quand le général Amr ibn al-Nasr, conquérant de l’Égypte, impose au roi chrétien de Nubie (Soudan actuel) de lui fournir 350 esclaves chaque année en échange de la paix. À peine plus d’un siècle après le début de la conquête, le califat abbasside de Bagdad (750-1258) occupe un territoire immense, depuis le sud de la France et l’Espagne, à l’ouest, jusqu’en Transoxiane (l’Ouzbékistan actuel) à l’est, ainsi que le Caucase et le bassin de la Volga, au nord. En parallèle, les populations païennes originaires des marges de l’empire (blanches au Caucase, noires en Afrique) sont de plus en plus largement asservies.

L’islam autorise-t-il l’asservissement ?

Comme le judaïsme ou le christianisme avant elle, la religion musulmane n’interdit pas l’esclavage. Cette pratique, considérée comme relevant de l’ordre divin des choses, est même légitimée dans plusieurs sourates du Coran, ainsi que dans les hadiths, c’est-à-dire le recueil – fixé par écrit au IXe siècle – des dits et gestes du prophète Mohamed (vers 570-632), qui possédait lui-même des esclaves.

Cependant, l’islam édicte de nouvelles règles, mettant fin à la servitude pour cause de dettes, ou interdisant de contraindre une femme servile à la prostitution. Il est également interdit de maltraiter ou de mettre à mort un esclave. L’affranchissement, considéré comme une bonne action ou un acte d’expiation, est fortement encouragé. La tradition islamique insiste sur le cas de Bilal ibn Rabâh, esclave noir originaire d’Éthiopie, affranchi vers 615 par le beau-père du prophète, et devenu le premier muezzin – celui qui appelle les fidèles à la prière. Un autre interdit, essentiel : un musulman ne peut réduire en servitude un autre musulman. Cette dernière règle connaîtra cependant d’innombrables entorses au fil des siècles…

Les noirs sont-ils considérés à l’époque comme inférieurs ?

L'islam lui-même n’instaure pas de hiérarchie entre les croyants en fonction de leur couleur de peau. Et le récit biblique rapportant la malédiction de Cham (pour avoir manqué de respect à Noé, son propre père, il fut banni, son teint s’assombrit et ses descendants furent voués à devenir esclaves) ne justifie pas, dans la tradition islamique, la réduction en esclavage des populations noires. Mais les conquérants arabes vont réduire en servitude des païens capturés aux marges du Dar al-Islam (« maison de l’islam »), surtout en Afrique. Le Bilad as-Sudan, le « pays des Noirs », devient ainsi un vivier majeur de la traite.

À partir des Xe et XIe siècles, la conversion à l’islam des souverains, puis des populations subsahariennes, pose à nouveau la question : peut-on asservir des musulmans noirs ? Les spécialistes de jurisprudence islamique répondent alors systématiquement par la négative. Cependant, les grands marchands d’esclaves continuent de justifier le fait de réduire en esclavage des Noirs, païens… ou tous ceux qui ne seraient pas assez musulmans à leurs yeux.

Quelle est l’ampleur de cette traite ?

Selon les études, le nombre total de personnes réduites en esclavage dans le monde musulman, entre le VIIe siècle et le début du XXe siècle, varie de 12 millions à 17 millions. La durée de ces traites, la multiplicité des circuits, les variations de leur importance au gré des époques, ainsi que le manque de sources écrites dans certaines régions expliquent cette variation d’environ 25 % du nombre de victimes. Une certitude : la traite transsaharienne fut la plus importante en nombre – peut-être jusqu’à 9 millions de personnes – et la plus meurtrière des traites arabo-musulmanes, avec possiblement un million de morts le long des pistes caravanières. Le trafic et le commerce d’esclaves en mer Rouge et au départ de la côte swahilie auraient, de leur côté, fait quelque 7 millions de victimes au total.

Le nombre de captifs provenant du Caucase et des Balkans n’est pas précisément connu. Quant aux Européens capturés par les Barbaresques en Méditerranée entre le XVIe siècle et la fin du XVIIIe siècle, les travaux les plus récents avancent le nombre de 850 000 personnes. Il s’agit d’ailleurs alors moins d’une traite organisée que d’une guerre de course faite d’attaques et de raids sur les navires ennemis, et certains captifs peuvent être libérés contre rançon. Des chiffres plus fiables donnent cependant une idée de l’ampleur globale de ces traites pour le seul XIXe siècle : 442 000 Africains de l’Est sont vendus dans l’océan Indien, 492 000 autres sont transportés, via la mer Rouge, d’Éthiopie vers le Moyen-Orient. Enfin, 1,2 million de personnes originaires d’Afrique de l’Ouest sont convoyées vers le Maghreb et l’Égypte.

A quoi les captifs sont-ils employés ?

Les captifs se voient assignés à trois types de travaux et de fonctions. La grande majorité est utilisée à des fins d’esclavage domestique. Dans chaque palais et chaque maison de notable, on trouve des serviteurs, hommes et femmes, dévolus à des tâches spécifiques : des domestiques noires chargées du ménage et de l’entretien, des eunuques, majoritairement noirs, des jardiniers, des commis, des gardes du corps. Le sort des concubines est très variable, allant de l’esclavage sexuel jusqu’au statut de favorite, voire d’épouse : les femmes blanches de peau (Italiennes, Circassiennes) ou certaines Abyssiniennes (Éthiopie), par exemple, sont prisées pour leur beauté.

Une autre fonction, plus inattendue, relève d’un « esclavage administratif » ou « de gouvernement ». À la cour des califes abbassides (750-1258), puis des sultans ottomans (1299-1922), des pages, des valets et même des eunuques, qui ont développé un rapport de proximité avec le souverain, peuvent accéder, au fil des années, à de hautes fonctions. Dès le IXe siècle, les califes de Bagdad recrutent dans le Caucase et en Géorgie de jeunes garçons clairs de peau pour constituer leur garde personnelle. « Ces mamelouks [possédés, en arabe] sont convertis à l’islam et formés à l’art de la guerre, puis affranchis afin de devenir des cadres militaires, y compris des généraux - souligne l’historien M’hmed Oualdi -. Les gouvernants musulmans ne font pas confiance aux sujets locaux et se méfient des complots internes. Or ces esclaves venant de l’extérieur et n’ayant aucun lien de parenté locale n’ont qu’une seule loyauté : celle envers leur maître, le souverain ». L’ascension sociale programmée des mamelouks – des individus ayant connu la servitude puis exerçant un pouvoir de commandement sur des hommes libres – est un cas très particulier. Ainsi, une dynastie de sultans mamelouks régnera de 1250 à 1517 sur l’Égypte, le Levant et une partie de la péninsule Arabique, constituant l’État musulman le plus puissant de son époque.

Enfin, des hommes et des femmes noirs, razziés en Afrique de l’Ouest et sur les côtes orientales du continent, sont asservis pour effectuer des travaux agricoles épuisants. L’exemple le plus connu est celui des Zanjs, mélange de populations africaines et arabo-persanes forcées d’assainir les zones marécageuses dans le sud de l’Irak actuel. De même, les oasis sahariennes et égyptiennes, puis les plantations de café, de coton, de tabac et d’arachide établies au XIXe siècle sur les côtes d’Afrique de l’Est (dans les Kenya, Tanzanie et Mozambique d’aujourd’hui) et dans l’éphémère sultanat de Sokoto (1804-1897), dans le nord du Nigeria, sont aussi des hauts lieux du travail forcé. « Le monde musulman voit alors se développer des sociétés à esclaves et non pas des sociétés fondamentalement esclavagistes, poursuit M’hamed Oualdi. En dehors des grandes plantations d’Afrique de l’Est, où l’on trouve 40 % à 60 % d’esclaves, la main-d’œuvre servile n’excède pas 5 % de la population totale ».

Quel est le statut de ces esclaves ?

Considéré à la fois comme une personne et comme une chose, l’esclave peut être possédé par un ou plusieurs maîtres, être vendu, loué ou donné. Par ailleurs, théoriquement, il doit manger la même chose que son propriétaire, mais c’est très rarement le cas. Il a aussi le droit de se marier et de posséder des biens, avec l’accord de son maître. Cependant, s’il n’a pas de descendance, tout revient à son propriétaire en cas de décès. L’affranchissement étant encouragé par l’islam, le statut de l’esclave peut évoluer au fil du temps. Toutefois, conformément au « droit de patronage » hérité de la Rome antique, le maître conserve une autorité sur son ancien serviteur.

En se convertissant à l’islam, un captif augmente ses chances d’être affranchi : il peut ainsi être libéré par son maître sur son lit de mort, dans un ultime geste de pénitence. Par ailleurs, des serviteurs mâles se distinguant par leur intelligence et leur loyauté peuvent accéder à des responsabilités. À l’intérieur de la maison, il peut s’agir, par exemple, de garder le sceau authentifiant les courriers du maître ou, dans le cas des eunuques, de garantir qu’aucun homme étranger ne puisse accéder au harem, le lieu de vie des épouses et des concubines. D’autres serviteurs de confiance peuvent être envoyés en mission, pour traiter des affaires commerciales ou prélever un impôt sur un domaine agricole. Certaines femmes asservies ont également des chances de voir leur statut évoluer. « Des esclaves concubines, les jawaris, peuvent devenir des épouses, puis être affranchies si elles donnent un enfant au maître de maison - explique Jamela Ouahhou, spécialiste de l’islam médiéval à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans -. Elles sont alors désignées comme ‘mère de l’enfant’ (umm al-walad) et ce dernier est de condition libre ».

« Il y a des exemples de concubines devenues souveraines, comme Chajar al-Dourr, au XIIIe siècle. Elle fut une esclave originaire du Caucase ou d'Asie mineure et favorite du sultan al-Salih Ayyoub, de qui elle eut un fils, et fut affranchie avant de devenir son épouse. Après la bataille de la Mansourah (Egypte) contre les croisés, en février 1250, qu'elle mena aux côtés de deux conseillers militaires, puis le décès du sultan, Chajar al-Dourr fut nommée sultane le 4 mai 1250 par les émirs et les généraux mamlouks. Sa régence fut courte, mais les sources attestent qu'elle a exercé une forme de pouvoir jusqu'en 1255 », précise l'historienne.

Connaît-on des cas de rébellion à l'esclavage ?

Il n’existe qu’un seul cas de révolte collective répertorié : celui des Zanjs, au IXe siècle, dans le sud de l’Irak actuel. Cette population, mêlant des personnes originaires d’Afrique de l’Est et des tribus locales asservies, est chargée d’assainir et d’assécher les zones marécageuses du bassin de l’Euphrate et du Tigre, pour en faire des terres cultivables. En 869, les Zanjs, soumis à des conditions de vie effroyables, se rebellent contre le pouvoir du calife abbasside de Bagdad et mènent une guérilla, allant même jusqu’à prendre le contrôle de certaines villes. Cette révolte sera matée en 883, après des massacres de grande ampleur. Par ailleurs, « des esclaves ayant la possibilité de se déplacer dans l’espace public peuvent aller consulter un faqîh, un spécialiste de jurisprudence pour protester contre leurs conditions de vie », souligne Jamela Ouahhou.

Un cas restera dans les annales : au XIIIe siècle, un groupe d’esclaves ayant fui le domaine de leur maître tatar (un ancien peuple turco-mongol), en Crimée, se rendra jusqu’au Caire pour trouver Ibn Taymyya (1263-1328), un célèbre juge islamique, très rigoriste. « Arguant du fait que leur maître, un mauvais musulman, buveur et ne pratiquant pas la prière, les maltraite, ils seront affranchis par le juriste et cette décision aura force de loi », explique l’historienne.

Quand cette traite prend-elle fin ?

Sous la forte pression du mouvement abolitionniste britannique, l’esclavage en terre d’islam s’éteint au Maroc, dans l’Empire ottoman (1299-1922) et en Perse au XIXe siècle. L’Empire ottoman, dont la puissance décline, interdit tout d’abord, en 1820, la vente des populations grecques, qui, entrées en révolte contre la Sublime Porte, avaient été asservies.

En 1846, soit deux ans avant la seconde abolition de l’esclavage en France, Ahmed Ier, le bey de Tunis, représentant du sultan Abdülmecid Ier dans cette province autonome de l’Empire ottoman, rend la liberté aux personnes asservies : 30 000 esclaves sont ainsi affranchis. L’abolition de l’esclavage est ensuite étendue à tous les territoires situés à l’intérieur de l’empire en 1847, et la traite transsaharienne est interdite en 1849.

Au mitan du XIXe siècle, tandis que la traite occidentale s’éteint, la traite arabo-musulmane connaît un rebond sur les côtes orientales d’Afrique, fournissant de la main-d’œuvre aux grandes plantations agricoles. Mais l’établissement de protectorats britanniques en Égypte et en Afrique orientale, à la fin du XIXe siècle, change la donne. Entre 1845 et 1876, les navires anglais arraisonnent les boutres des marchands d’esclaves en mer Rouge et libèrent les captifs.

Après la disparition de l’Empire ottoman, les nouveaux États musulmans, sous protectorat puis indépendants, vont tour à tour en finir avec l’esclavage : Afghanistan (1923), Irak (1924), Iran (1929). Ce mouvement d’émancipation sera plus tardif encore dans la péninsule Arabique : 1949 au Koweït, 1952 au Qatar, 1968 en Arabie saoudite et 1970 à Oman.

La Mauritanie sera le dernier pays au monde à abolir l’esclavage, en 1981. Il faudra même attendre 2007 pour que la loi y punisse tout détenteur d’esclave : de cinq à dix ans d’emprisonnement, peine renforcée, en 2015, de dix ans à vingt ans de prison.

Esclavage dans le monde musulman : l'histoire méconnue de millions d'esclaves à travers les siècles ➤ Article de GEO Histoire n°79, Les mille visages de l'esclavage, janvier-février 2025.

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Los comentarios de nuestros lectores (1)

Paul Attard 27.02.2025 I imagine slavery still exists in the Muslim world, such as those Bangladeshi workers in Saudi Arabia. And we in the West now talk about reparations to those countries that suffered under slavery!