Le secteur de la pêche est crucial tant pour la stabilité socio-économique que pour la sécurité alimentaire de la population de toute cette région du Sénégal. Nous avons accompagné quelques pêcheurs lors d'une nuit de pêche.
A Soumbédioune, port coloré, niché entre les rochers de Médina, l'un des plus anciens quartiers de Dakar, l'agitation est incessante. Des files de femmes portent sur la tête des caisses de poissons fraîchement débarquées vers les étals du marché adjacent, tandis qu'une foule d'enfants sautillent d'une pirogue à l'autre, cousant des filets et préparant lignes, hameçons, appâts et flotteurs pour les grands frères qui attendent de prendre la mer.
Le coucher du soleil est proche.
Madj, comme tous les pêcheurs du port de Soumbédioune, scrute l'ondulation des vagues sans jamais quitter l'horizon des yeux. Son visage, sillonné par le vent et le soleil, se contracte à chaque rafale, à chaque vague, à chaque augmentation du courant, trahissant son inquiétude. Vêtu d'une veste militaire, d'un pantalon de survêtement, d'un sweat Air Jordan et d'un béret d'artiste, avec de courtes dreadlocks en perles de sel qui poussent ici et là, cet expert artisan pêcheur d'une quarantaine d'années connaît les eaux de Dakar comme sa poche.
« On peut dire que je suis né sur cette plage ». Madj ne possède pas de bateau, mais il accompagne souvent en mer son ami Bouba, jeune capitaine d'une des nombreuses pirogues en bois colorées qui, disposées les unes à côté des autres sur la plage, constituent la flotte des pêcheurs informels de Soumbédioune. De longues et étroites pirogues en tronc d'arbre sur lesquelles la peinture aux couleurs vives - le vert-jaune-rouge du drapeau sénégalais domine - et les écritures, notamment Allah et des formules de bénédiction en langue wolof, ne cachent que partiellement les fissures qui s'ouvrent dans les coques, mille et une fois rivetées et réparées.
Le soleil est sur le point de se coucher derrière les maisons qui, au loin, apparaissent sur la rive opposée de la baie du petit port de Soumbédioune, lorsque Madj ajuste son chapeau et fait un signe à son ami Bouba. C'est le signal du départ. Il est temps d'embarquer le dernier matériel et, d'un mouvement collectif inlassable, de faire glisser la pirogue de la plage jusqu'à ce qu'elle touche l'océan Atlantique.
Beaucoup, comme Madj et Bouba, se dépêchent de quitter le rivage avant la tombée de la nuit. La traversée vers la pleine mer, avec ses grandes et longues vagues qui soulèvent par le bas les fragiles embarcations de bois, ne dure qu'une dizaine de minutes. Le vieux moteur, avec Bouba à la barre et Madj à la proue, tousse sur le sifflement du vent et le cri des mouettes.
Les pointes de la falaise abrupte de l'île de Sarpan apparaissent sous leurs yeux comme le dos d'un dinosaure couché dans l'eau. Les îles de la Madeleine sont un archipel composé de deux formations rocheuses volcaniques, Sarpan et Lougne, à quelques milles seulement de la côte ouest de Dakar.
Suivis à vue par plusieurs autres pirogues, Madj et Bouba contournent l'île pour atteindre l'une des meilleures zones de pêche au calmar : la baie du bras de mer qui pénètre le côté sud-ouest de l'île.
Après une observation attentive des fonds marins, Madj jette l'ancre en essayant de prévoir d'où le vent se lèvera pendant la nuit. Pendant ce temps, Bouba, toujours à l'arrière, bricole une batterie de 12 volts, des torches et des câbles électriques. Ce type de pêche traditionnelle est pratiqué à l'aide de lampes descendues à quelques mètres de profondeur pour attirer les alevins et les prédateurs nocturnes, comme les calmars. « Il fut un temps où les gens pêchaient avec des feux allumés sur les bateaux. Je l'ai vu faire lorsque j'étais enfant. Aujourd'hui, nous utilisons des LED chinoises colorées », explique Madj.
En quelques minutes, les dernières lumières de la journée laissent place à une obscurité fascinante. Les bruits et les éclats de Dakar, toute proche, se perdent au-delà de la falaise. Sous chaque pirogue secouée par le courant, l'océan s'illumine de lumières bleues et vertes. « La couleur dépend de la lune. Quand c'est la pleine lune, on met des LED rouges et on crée un espace d'ombre ». Une atmosphère surréaliste, accompagnée par le cri puissant des volées d'oiseaux perchés sur la paroi de l'île, s’empare du lieu. Madj allume la lampe attachée à son front, tout en liant des hameçons et des leurres au bout des lignes. L'espace à bord est étroit et les deux pêcheurs travaillent assis, pour éviter les dangereuses secousses de la coque.
Accroupis sur les côtés opposés de la pirogue, l'un face à l'autre, les deux hommes se regardent en silence et, dans une danse de gestes anciens, ils font glisser les lignes dans l'eau en les serrant entre leurs doigts.
Rythmiquement, ils lèvent et abaissent d'abord un bras, puis l'autre, faisant ramper les lignes le long des bords de la coque, qui suit leur balancement. Les larges rainures laissées sur les flancs du bateau témoignent d'innombrables parties de pêche comme celle de ce soir.
Malgré les poignées de sable jetées à la mer, autre technique pour attirer les prédateurs des profondeurs, une première longue heure de pêche n'apporte aucune proie. « Parfois, on n'a pas le temps de jeter le sable qu’ils commencent à mordre. D'autres fois, en revanche, des heures passent sans rien prendre. La pêche, c'est comme ça ».
Madj, pour maintenir leur moral, chante des chansons en wolof. Bouba allume nerveusement une énième cigarette, commençant à faire chauffer les braises pour le café sur un réchaud improvisé, fait d'un vieux pneu de mobylette et d'une plaque d'aluminium perforée. La brise fait crépiter les étincelles de charbon à la surface de la mer. Même sur les pirogues alentour, les feux des grilles improvisées s'allument peu à peu.
Soudain, le jeune capitaine se lève, faisant dangereusement tanguer le bateau. Dans la précipitation pour le hisser à bord, le premier calmar lui échappe, l'éclaboussant d'encre au visage. Mais ce n'est que le prélude à une heure de pêche abondante, où plusieurs gros calmars (et une seiche) se succèdent.
Cette nuit, les autres bateaux qui jettent l’ancre dans cette baie ont la même chance, avec de jeunes pêcheurs (certains seuls, d'autres en couple) qui fêtent l'événement en partageant café, cigarettes et rires avec les pirogues voisines. « On dirait que c'est un soir de chance ! », se réjouit Madj, sans cesser de ramener à la surface des mollusques qui, avant d'être jetés à ses pieds, se tordent sur les hameçons en projetant de la bave noire.
La nuit est déjà bien avancée, et le vent qui se lève pénètre sous les nombreuses couches de vêtements des deux pêcheurs, qui maintenant sortent les cirés de leurs sacs à dos. Madj tente de se reposer, perché à l'avant sur le dessus mouillé de l'ancre, tandis que son compagnon alterne pots de café et tentacules de seiche grillés.
À l'horizon, mues par le roulis des vagues, des lumières froides et persistantes font irruption dans l'obscurité : « Ce sont les bateaux de pêche étrangers », commente Madj, qui n'arrive pas à dormir. « Nous devons être sur nos gardes car s'ils arrivent à pleine vitesse, ils ne nous voient pas de là-haut et risquent de nous éperonner, comme cela est déjà arrivé à de nombreux autres pirogues ». Heureusement, les grands bateaux battant pavillon européen et asiatique restent au large cette nuit, sans perturber la pêche des pirogues qui se poursuit, avec un succès inhabituel, jusqu'à l'aube.
De retour au port, en soufflant de fatigue et en enfilant un bonnet de laine, Madj regarde le soleil qui revient pointer derrière les immeubles de Dakar. Les traits crispés de son visage n'esquissent un sourire que lorsque ses pieds nus et le seau rempli de calamars touchent le sable frais du rivage. Il ne reste plus à cet homme épuisé qu’à confier sa pêche aux vendeurs du marché de Soumbédioune, rentrer chez lui, se laver, fumer et se reposer quelques heures, avant la prochaine sortie en mer.
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